catastrophy.❞ (ivy)

catastrophy ★
un jour, j'irais vivre en Théorie.
parce qu'en Théorie tout se passe bien !


Tu ne sais pas où sont les autres.
Personne répond.
Il n’y a qu’elle.
Il n’y a qu’Ivy avec toi, Sasha.
T’as ramené un bucket de chez KFC et quelques frites, ça fera votre repas de ce soir et t’as fait griller un vieux sachet de pop-corn sucré pour le dessert.
Assis sur le canapé, le saladier entre vous deux.
Vous aviez cherché un film sur le maigre choix de chaînes qu’avait votre télé sans le câble, ça c’était arrêté sur un thriller au scénario assez banal, mais relativement captivant… suffisamment pour que vous n’échangiez pas le moindre mot.
Jusqu’à ce que ça dérive sur une scène de cul.
Tu manques de t’étouffer avec un pop-corn.
Toussant et virant au cramoisi.
C’est un peu un comble Sasha…
Toi qui ramènes des filles et des mecs à tour de bras ici, tu rougis à la vue d’une scène de boules sur la TV de la famille. En fait, c’est justement là que se trouve le problème : c’est regarder ça avec les autres, encore plus avec Ivy, la sœur de ton meilleur ami.
Ça craint de ouf.
Tu croises les jambes, tout en lui jetant un regard furtif, essayant de voir si t’es le seul gêné ici.
Ton observation n’est pas concluante.
Et cette scène ne cesse de s’éterniser.
Tu passes une main dans tes cheveux Sasha.
Nerveux.

▬ Au fait, il est où ton frère ?

T’as tourné la tête vers elle.
Et à son regard, tu comprends qu’elle pense que tu parles de Kiha, sauf que non. Lui non plus tu ne sais pas trop où il est là tout de suite, mais il va rentrer.
Alors tu précises Sasha.

▬ J’parle de Kinma.

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C’est un peu inhabituel, ce calme. Voilà des années que le domicile Moon n’est plus seulement à eux. Bien longtemps que le silence est si rarement invité chez eux tant le brouhaha a pris possession des lieux, et dans le fond elle aime bien ça, Ivy. Ça lui donne cette impression d’être entourée, de faire parti de quelque chose ((ou la fait se sentir de trop parfois, aussi)). Mais ce soir pas de bruits, pas de cris. Ce soir il n’y a que leurs respirations -à elle et Sasha, qui ponctuent le temps, moment privilégié avec ce garçon qu’elle aime un peu trop. Ils ne font rien en particulier pourtant, banalité d’une soirée entre colocataires, film qui parvient presque miraculeusement à l’empêcher de trop penser.

Il y a bien longtemps qu’Ivy a cessé d’espérer, plus aucun et si n’accélère son rythme cardiaque lorsqu’elle croise le regard de celui qui n’est, au final, que le meilleur ami de son frère. Attention concentrée sur les images qui défilent à la télé plutôt que sur ce corps dont seul un saladier la sépare. La scène de sexe ne la fait pas frémir, juste un peu sourire en imaginant le malaise qui doit envahir bien trop vite Sasha. Il ne semble pas si gêné pourtant, lorsque c’est lui qu’on entend au travers des murs trop fins de l’appartement. Sa main se lève au dessus du bol de maïs soufflé, s’immobilise face à l’absurdité de sa question. Kiha est dehors, comme toujours. Mais c’est un autre prénom qu’il prononce.
Un prénom qui serre sa mâchoire, compresse son estomac.
Et sa main s’abat trop violemment dans le saladier, fait valser quelques popcorns dans un peu tous les sens. « Tu te fous de ma gueule ? » Regard noir, lèvre mordue pour contenir sa colère.
Échec.

Corps qui se relève rapidement, incapable de rester en place -incapable de rester si près de lui. « Mais putain c’est quoi ton problème, hein ? » Saladier (en plastique, heureusement) balancé au visage de celui qui ne lui inspire que dégoût en cet instant. « Toi aussi tu vas te mettre à m’faire chier ? Bordel mais j’ai fait quoi pour que vous me traitiez comme ça ? » La rage qui humidifie ses yeux ((ou peut-être est-ce la peine)) lui dit de l’attraper par le col, et Ivy lui obéit. « Qu’est-ce que tu veux Sasha ? Vous voulez à c’point là me faire partir d’ici ? Vas-y lève toi ! Debout ! Fous moi dehors directement si t’en as les couilles au lieu de m’traiter comme ça ! Allez t’attends quoi ! »

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Tu ne sais pas comment, parce qu’il n’y a pas de « vent » à proprement parlé dans l’appartement et encore heureux, mais tu l’as clairement sentie tourné.
Les pop-corn volent quand elle abat sa main.
Son regard noir te transperce.
Putain… mais qu’est-ce que j’ai encore dit… ?
Ivy te demande si tu te fou de sa gueule.
Tu fronce les sourcils Sasha.
Incrédule.

▬ Bah non. J’comprends pas pourquoi tu-

Ta conscience te coupe en te hurlant d’éviter de lui parler de colère là tout de suite et la voir se lever… tu ne l’interprète pas du tout comme étant un bon signe.
La mauvaise augure t’en as trop l’habitude.
C’est quoi ton problème ?
T’as bien envie de lui demander c’est quoi le siens.
Sauf que c’est le moment où t’as pris un saladier en plastique dans la gueule, dispersant les pop-corn dans toute la pièce… t’en connais une qui va câbler quand elle va rentrer, ou vous tuer, sauf si Ivy s’occupe de toi avant.
Elle hurle.
Elle a les larmes aux yeux.
Et toi Sasha, tu ne comprends pas.
Pourquoi elle est dans cet état.
Pourquoi Ivy parle d’elle quand t’as posé une question vis à vis de Kinma.
T’es toujours assit sur le vieux canapé quand elle t’attrapes par le col de ton sweat, obligé de relever la tête vers elle.
Tu l’entends.
Mais tu ne l’écoute plus.
Le regard sur ses traits et pour la première fois, tu le vois ; tu réalises et t’écarquille les yeux.
T’en perds la mâchoire.
Tu reste là, complètement stone.
Comme si t’avais pris l’appart du dessus sur la tronche, parce que t’arrive pas à réaliser à quel point t’as pu être aveugle et aussi con.
T’arrive pas à comprendre comment t’as pu passer à côté d’un truc pourtant si gros, si évident, maintenant que t’es devant le fait accompli.
Doucement et du bout des doigts, tu attrapes ses poignets.
Le regard toujours dans le siens.
Encore hébété et pourtant tu tente un truc :

▬ Je… d-désolé Kin-Ivy, je- désolé. Personne ne me l’a dit, je suis désolé, je ne voulais pas... te blesser. Désolé.

T’es encore sous le choc Sasha.
Tu resserres la pression de tes doigts autour de ses poignets, parce que tu ne comprends vraiment pas pourquoi personne ne te l’a dit. Parce que t’as tellement l’habitude aussi de ce genre de plan, que t’es prêt à parier que t’es le seul zouave à pas savoir.
Ça aussi ça te frappe.
Le comportement de Kiha, vis a vis de ça.
Des autres aussi.
Ce silence…
Ton cerveau se remet en route et tu souffles, cette question à laquelle tu ne veux pas connaître la réponse, parce qu’elle te semble bien trop évidente.
Bien trop cruelle soudainement.

▬ T’as dû faire ça toute seule ?

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Elle part au quart de tour Ivy, c’est du sang chaud qui coule dans les veines de cette famille ((ce qu’il en reste)). Parce que jamais elle n’a eu cette discussion, jamais elle n’a dû vivre ça, sa plus grande peur. Là dehors, personne ne sait son secret -elle est une fille, ils n’ont pas besoin d’en savoir plus, de vérifier. Mais ici, dans cet appartement où elle ne s’est jamais sentie chez elle, chaque instant passé est chargé d’angoisse, cette boule au ventre qui grossit, grossit, nourrie par le silence. Entre ces murs Ivy a peur, peur qu’un jour on lui balance tout ce qu’on n’a jamais osé lui dire avant, peur du jugement, peur des regards. Et ah, il est fort Sasha, si fort lorsqu’il rend cette terreur réelle, si fort lorsqu’il la pousse face à ses démons. Elle ne comprend pas la Moon. Jamais elle n’aurait pensé que ce serait lui qui en parlerait, lui qui lui ferait ça.
Bordel ça fait mal. Elle ne voit pas sa confusion Ivy, il y a la colère qui l’aveugle, et puis la douleur aussi, celle de ce poignard dans le dos. Toi Sasha, vraiment ?

Elle tire ses propres conclusions Ivy, celles que son angoisse lui hurle -on ne veut pas d’elle ici, et s’il lui fait si mal c’est pour la chasser. Tir de dissuasion, mais la balle l’a touchée. Et ces doigts contre ses poignets, ceux dont elle a tant rêvé la répugnent aujourd’hui, semblent presque lui brûler l’épiderme. Mensonges.
Mensonges, mensonges, mensonges.
Il n’est pas désolé Sasha, pas alors qu’il l’a presque appelée par ce prénom qui n’est plus le sien, pas quand, putain, elle souffre autant. « Ta gueule, ta gueule ! »
Elle voudrait le tuer -non, elle voudrait tuer son passé, l’effacer, elle voudrait tuer tout ce qui fait qu’elle n’est pas acceptée, qu’aujourd’hui encore et jusqu’à ce qu’elle crève, Ivy restera le mouton noir. Le garçon, la pute, la peste. A-t-on déjà prononcé un adjectif positif à son égard ?

Mais ah Sasha il ne fait pas les choses à moitié. Sasha il fait mal, mal, mal, lorsqu’il pose cette foutue question. Le sanglot est immédiat alors qu’elle le lâche finalement, repousse ses mains pour s’éloigner, tourner la tête ((pour cacher sa peine)).
Mais si Sasha il fait mal, mal, mal, c’est parce qu’il dit la vérité. Évidemment qu’elle était toute seule -elle l’a toujours été, le sera toujours. « J’t’ai dit de la fermer putain » Elle ne crie plus Ivy, sa gorge est trop prise en étau par le chagrin pour ça. « Puis qu’est-ce que ça peut te foutre, hein ? Remballe ta pitié j’en veux pas. Personne ne t’a dit ? C’est ça ton excuse ? Personne n’avait à te dire, Sasha. J’suis une fille, c’est tout. T’as rien besoin de savoir d’autre. » À part qu’elle a mal, à part que, Sasha, personne ne s’est jamais questionné sur ça, savoir si elle avait besoin d’aide, de quelqu’un. Personne n’a jamais même pris la peine de venir la récupérer à la sortie de l’hôpital, après chaque opération.

« Allez, fous moi dehors, même Kiha t’en félicitera. »

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Ta gueule.
Ça fait mal.
T’étais sincère Sasha.
Tu l’es toujours… alors pourquoi tu ne vois que le dégoût dans ses yeux ?
Peut-être que tu aurais dû te taire.
Sûrement même.
Mais braver l’interdit, faire ce qu’on te dit de ne pas faire, c’est… l’histoire de ta vie un peu, alors t’as posé cette question et t’as remis le feu aux poudres.
Le sanglot qu’elle ravale t’achèves.
Ivy te lâche.
Ivy te dégage.
Et elle s’éloigne.
Elle ne cris plus, sa voix est empli d’une tristesse qui te submerge et qui te fait probablement plus mal que si elle t’avais hurlé dessus, Sasha.
Tu te mord l’intérieur de la joue.
Qu’est-ce que ça peut te foutre ?
Les boules.
Voilà.
T’as la haine Sasha, surtout contre toi.
Est-ce que c’était une vrai excuse que les autres n’ai rien dit, pas même elle ?
Tu n’en sais rien de ça non plus… peut-être qu’au fond t’as juste pas voulu voir.
Peut-être que t’étais focus sur ta propre tristesse à l’époque pour ne pas voir la sienne.
Et tu t’en veux.
A mort.
Elle remet sur le tapis cette idée de la foutre à la porte et tu fini par te lever, Sasha, un peu énervé… contre le monde entier.

▬ Arrête avec ça. Personne veut te foutre à la porte et il n’est pas question que je le fasse, que personne ne le fasse même. T’es ici chez toi j’te rappelle. Plus que moi.

Parce que toi là, Sasha, t’as qu’une envie : c’est disparaître. Partir le plus loin possible et ne jamais revenir.
Tu fais un pas en avant.
Tendant une main vers son épaule… mais t’ose pas, tu la laisses retomber, te bousillant la lèvre inférieure à coup de dent.
Et tu soupire.

▬ T’es une fille et c’est pas un problème, il n’y a pas de raison que ça en soit un.

Tu es tellement sincère Sasha.
Ça ne change absolument rien.
Le problème ce n’est pas ça, loin de là.
Parce que bien sûr, il y a un problème.
Toujours des problèmes de toute façon.
Ta vie en est un enchaînement.

▬ Par contre, j’suis pas d’accord. On aurait dû en parler. Parce que t’avais pas à traverser ça seule, parce que… j’aurais pas dû l’apprendre que maintenant comme un demeuré ! T’as la voix qui monte dans les octaves. Et j’en ai à foutre que…

Et ça sort pas.
Parce que ta voix elle déraille.
Tu ne sais pas si tu dois lui dire, Sasha.
Est-ce que c’est une bonne idée ?
Vraiment ?
Dans le doute, tu l’as dit.

▬ Que je te trouvais beau quand j’avais quatorze ans. T’as la gorge noué et tu regarde ailleurs, plus du tout capable de poser tes yeux sur sa silhouette. J’ai compris à l’époque que j’aimais les filles et les garçons, parce que j’avais un crush sur toi. La cicatrice dans ton dos te brûle, quel malheur d’aimer les garçons.  Et… j’aurais voulu que tu me le dise, parce que ça aurait rien changé qu’en fait tu sois une fille.

T’as reposé les yeux sur Ivy.
Aujourd’hui c’est différent.
Parce que ça ne s’est pas bien passé.
Parce que vous avez tout les deux évolués chacun de votre côté et surtout, t’as absolument aucune idée de où t’en es Sasha.

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Ça devait pas se passer comme ça. Ça devait pas se passer comme ça putain.
Cette soirée, cette discussion. Ils devaient simplement regarder un film et aller se coucher, et dans quelques années peut-être Ivy aurait parlé de sa transition elle-même. Comme ça, au détour d’une discussion, en blaguant même. Quand elle en aurait eu la force, le courage. Pas maintenant, pas alors que la terreur lui broie les entrailles. Pas alors que Sasha par ses mots confirme que les raisons de redouter ce moment étaient justifiées. Ivy elle a mis des années à bâtir son armure, à s’endurcir au point de sembler intouchable. C’était presque aussi dur que sa transition en elle-même, de devoir se blinder ainsi, d’apprendre à encaisser les regards, les mots, les silences.
Il t’a fallu qu’une phrase pour faire effondrer ses remparts, Sasha.

Il n’a fallu que quelques mots pour que le barrage de ses paupières se brise, que les larmes déferlent comme un ouragan.
Voilà bien cinq ans qu’elle s’était interdit de pleurer devant quelqu’un et ah, elle avait réussi, jusque là. Ivy elle est en colère, elle a mal. Ivy elle est misérable. Mais elle est aussi bloquée. Oui elle pourrait partir, là maintenant, s’en aller et fuir la situation, le fuir lui. Et après ? Ils vivent sous le même toit, elle n’a pas d’autre choix que de subir cette discussion. Maintenant ou plus tard, elle ne pourra pas y échapper. Ni aux conséquences auxquelles la pauvre ne préfère même pas penser. Pas maintenant. Et ses mots la font rire jaune. Ici chez elle ? Non Ivy n’a jamais eu sa place ici, elle est bien plus pièce rapportée que n’importe qui d’autre. Mais les mots s’accumulent et défilent. C’est vrai, elle n’avait pas à traverser ça seule.
Mais, Sasha, elle l’a toujours été, en toutes circonstances, seule.

Et le problème avec lui c’est qu’il est imprévisible, le problème avec lui c’est que chaque putain de parole lui fait plus de mal que la précédente. Il pourrait être magicien Sasha, lui qui a ce don pour surprendre. À la place il décide de se faire assassin. Oui Sasha il la tue, lorsqu’il parle du passé.
Et son coeur s’arrête de battre. Et son coeur reprend un rythme fou, si fort que tout le bâtiment l’entend sûrement, si fort que s’il continue, il va exploser sa cage thoracique pour s’écraser au sol.
Elle respire fort Ivy, les mains qui couvrent ((cachent)) son visage tremblent, parce qu’elle réalise. Elle réalise à quel point elle a tout foiré. À quel point sa vie aurait pu être si différente. Mieux. Peut-être même belle.

Parce que Ivy si elle lui avait parlé de sa transition, elle n’aurait pas eu à traverser ces épreuves seule.
Parce que Ivy si elle lui avait avoué ses sentiments, ils auraient été réciproques.
Mais ah, Ivy elle est lâche, Ivy n’a rien dit et elle s’est condamnée toute seule à cette souffrance. Et dans sa tête c’est une myriade de et si qui l’enfonce dans la culpabilité.
Peut-être aurait-elle préféré continuer de vivre dans l’ignorance de tout ça. « S’il te plaît tais toi » C’est tout ce qu’elle parvient à souffler entre deux sanglots, supplique désespérée. « Pourquoi tu dis toutes ces choses, pourquoi tu… putain Sasha pourquoi ? » Rhétorique douloureuse, hoquet qui comprime sa gorge.

Pourquoi Sasha tu remets en question toute sa vie comme ça ?
Pourquoi ça fait si mal, quand elle relève enfin les yeux vers lui ? « Moi aussi je… » Elle ne peut pas. Impossible. Lui avouer ses sentiments maintenant serait une mission suicide -après tout, ce n’est pas comme s’il pouvait vouloir d’elle maintenant qu’il sait tout ça. Est-ce qu’elle le dégoûte ?
Elle se dégoûte en tout cas.
« J’aurais aimé que ça se passe autrement »
Quelle lâche. Son regard retombe au sol, ses épaules sursautent au rythme de ses sanglots. « Qu’est-ce que ça change au final ? C’est trop tard. »

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Tu l’as entendu.
T’as perçu ses sanglots.
Et au-dedans, ça t’as tué.
Parce que c’était de ta faute, Sasha.
Entièrement de ta faute.
Tu voudrais tellement arranger les choses, mais tu ne sembles pas avoir les mots, juste ceux qui intensifie ses larmes.
Ivy fini par te demander de te taire.
A sa voix brisée, tu ne peux que lui obéir.
Même quand elle te demande pourquoi, pourquoi Sasha tu dis tout ça ?
La vérité, c’est que tu ne sais même pas.
Peut-être parce que ça t’a pesé tout ce temps sans le savoir véritablement ; n’empêche, tu ne te sens pas mieux du tout.
Au contraire.
T’as la gorge tellement nouée, que tu ne sais même pas comment ça se fait que tu n’as encore pleuré. Ça fait peut-être trop longtemps.
Moi aussi je…
Vos regards ce sont croisés.
Tu ne sais pas ce que tu attendais de la suite, Sasha, mais ton palpitant a loupé un battement à ses mots. T’as cligné des yeux à la chute.
C’est là qu’elles ont roulées, silencieuses.
Sur tes joues les larmes ont dévalées.
Qu’est-ce que ça change au final ?
C’est trop tard.
Vraiment ?
Tu ne peux pas t’empêcher d’y penser, refusant ton côté pragmatique qui te souffle que oui, elle a bien raison Ivy : c’est trop tard, c’est fini.
Ton regard glisse un instant.
Les pop-corn au sol.
Le film oublié qui continue de tourner.
Alors… ça s’arrête là ?
T’es pas d’accord Sasha, vraiment pas.
Et tu ne supporte plus de la voir comme ça.
D’être face à ses traits emplies de douleur.
Tu veux que ses larmes arrête de couler, que les sanglots cesse de la secouer, alors même que tes propres larmes dévalent encore.
Le pas vif, tu anéantis la distance, Sasha.
Et tu la prend dans tes bras.
Tu l’enlaces aussi fort que tendrement.
Calant ta tête contre la sienne.
Il te faut plusieurs seconde, si ce n’est pas une minute, pour réussir à articuler des mots.

▬ J’ai pas envie que ça soit trop tard Ivy.

Trop tard pour te soutenir.
Trop tard pour être près de toi.
Trop tard pour courir après le temps et essayer de le rattraper, j’en ai pas envie.

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Et maintenant ? Et après ?
Tous les secrets, tous les silences sur lesquels se base sa vie, envolés. Elle est mise à nu Ivy, privée de ses remparts qui la préservaient du monde trop cruel pour elle, trop difficile à affronter. Et maintenant elle ne sait pas comment elle va pouvoir faire. Vivre, continuer, avancer. Parce que cette discussion elle va tout changer -c’est déjà le cas. Même lorsqu’elle sera terminée, ses conséquences vont perdurer, s’éterniser comme un parasite qui s’accroche. C’est ce qui la terrifie Ivy, de se dire que toute sa vie, tout son quotidien va basculer ((a basculé)). Elle ne sait plus quoi faire, plus quoi dire.

Elle est putain d’assaillie par toutes ces théories tantôt idylliques, tantôt catastrophiques.
Ivy aurait pu être heureuse de savoir qu’elle ((non, qu’il)) a plu à Sasha à une époque, se dire que pendant cette fraction de temps, leurs sentiments bien que secrets étaient partagés. Mais non, elle ne peut pas. Elle ne peut pas quand l’horrible sensation d’avoir raté le coche lui tord le ventre, quand la seule conclusion qu’elle en tire, c’est que c’est trop tard.

Trop tard pour tout lui avouer. Trop tard pour que ce soit réciproque. Trop tard peut-être même pour sauver ce qu’il reste de leur relation.
Ils n’étaient que des colocataires, elle n’était que la soeur de son meilleur ami. Et si à présent ils n’étaient plus rien, l’un pour l’autre ? S’ils ne parvenaient pas à se relever de cette discussion ? Et si elle le dégoûtait ? Et si il la détestait ?
Et si
Et si
Et si
Plus rien. Les milliers de questions qui étaient en train de la noyer, réduites au silence. Parce qu’Ivy elle se retrouve dans ses bras, et qu’il est un peu magique Sasha. Assez pour arrêter le temps, et le flot de ses pensées, et sa respiration, aussi, un peu. Jusqu’à ces quelques mots. Ils sonnent un peu comme un faux espoir et tant pis. Ivy s’y arroche aussi fort qu’elle s’accroche à lui. Et elle pleure encore et encore, libère bruyamment des larmes retenues depuis trop d’années.

Ses doigts froissent le tissu de son haut, ses larmes l’humidifient. Ivy elle le serre fort fort fort, comme s’il allait disparaître. Elle s’imprègne de son parfum, cherche les battements de son coeur comme pour se sentir plus près encore.
Comment elle va faire maintenant Ivy ? C’est la première fois. La première fois que quelqu’un est là pour elle, qu’elle n’est pas seule. C’était son quotidien jusque là, la solitude, mais maintenant, maintenant comment pourrait-elle s’en contenter ? C’est sûr, elle en mourrait. Elle a goûté au confort -au réconfort d’une présence, de quelqu’un qui la voit, l’entend. Monstre d’avidité qui ne se pense plus capable de s’en passer à présent.

elle ne veut pas reculer Ivy, elle ne veut pas briser cette étreinte. Rêve sans doute un peu trop que jamais plus il ne la relâche, profite alors égoïstement de chaque seconde passée contre son torse. S’oblige à reculer finalement, un peu. « Désolée d’avoir crié comme ça, et aussi… pour le saladier. J’ai été conne » Elle renifle, respiration encore tremblante. « Je vais nettoyer avant que les autres rentrent » Pourtant Ivy reste immobile, tête baissée face à lui. Elle ne peut pas ((ne veut pas)) s’éloigner. Et une, deux, trois, plusieurs secondes avant que son front ne vienne de nouveau s’appuyer contre ce torse rassurant. « Encore une petite minute »

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Ses doigts s’agrippent.
Ses larmes mouillent ton sweat.
Ses sanglots vifs vous font trembler tout les deux, alors que t’as arrêté de pleurer depuis qu’elle est au creux de tes bras.
Le nez dans ses cheveux.
Tes mains dans son dos.
Tu sais que si Kiha rentre maintenant, t’es un homme mort Sasha.
Pourtant impossible de la relâcher.
Impossible de te détacher.
T’es tellement dans la merde, encore.
Et tu ne bouges pas Sasha.
Tu ne penses même plus.
Tu ne veux pas te l’autoriser.
Parce que tu sens les « et si... » arriver.
Ce n’est jamais bon avec toi.
Doucement, elle s’écarte et tu relèves la tête.
Posant le regard sur elle.
Tu souris, Sasha.

▬ T’inquiète pas, ce n’est pas grave.

C’est sincère, comme toujours.
Même si, heureusement que le saladier est en plastique, sinon t’aurais probablement le crâne ou le bras ouvert.
Ce n’est pas non plus grave si elle a crié.
Tu méritais presque cette engueulade, Sasha.
Pour avoir été si idiot, si myope.
Ivy te dit qu’elle va nettoyer, et tu allais répondre que tu allais l’aider, sauf qu’elle ne bouge pas.
Pendant une seconde, tu hésites.
Il n’empêche que ta main gauche se lève et tes doigts viennent toucher sa joue, du pouce, tu lui essuie ses larmes.
Encore une minute.
Elle revient vers toi et ton bras droit la serre doucement, alors que ta main gauche reste sur sa joue, caressant sa peau.
Même deux si tu veux.
Tu ne sais pas s’il s’est réellement écoulé une minute ou deux, peut-être plus, peut-être moins, quand vous vous êtes éloignés.
Tu lui as souris à nouveau Sasha.
Juste avant d’aller ramasser les pop-corn.
Bien sûr, t’en oubliera forcément un dans un coin et ça sera un sujet de discussion le jour où il sera retrouvé.
Ça te semblait être comme tout à l’heure.
Sans que ça soit pareil pour autant.
Les prunelles qui retrouvent Ivy.
Tu as un léger sourire.
C’est là que t’as probablement fait une bourde, en posant cette question :

▬ Dis, t’es fille… mouvement des mains qui suit les courbes de ton corps. partout ?

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Elle ne sait plus quoi penser Ivy. D’un côté, cette discussion lui a fait du bien, oui pouvoir parler de sa situation, de toutes ces épreuves qu’elle a dû affronter seule, ça la libère justement du poids de cette solitude. C’est la première fois, la toute première fois qu’elle parle de son genre ainsi. Elle ne l’avait jamais dit à personne avant, si ce n’est son frère qu’elle a informé d’un simple tu as une soeur maintenant et cette inconnue avec qui elle discute sur les réseaux sociaux. Oui ça la soulage, lui permet de se libérer de ces horribles angoisses qui la dévoraient depuis des années déjà. Elle a dit la vérité, et ça s’est bien passé. Mais d’un autre côté plus rien ne sera jamais pareil avec Sasha maintenant. Il va la voir différemment, la traiter autrement aussi, sans doute. Alors à défaut de savoir quoi en penser, Ivy ne pense pas.

Ivy elle reste juste contre lui, s’accroche au moindre petit instant avant que tout ne change. Et pendant ces quelques secondes, le temps s’arrête, plus rien n’existe. Pourtant elle ne doit pas trop s’y attacher ((à cet espoir, à Sasha aussi, surtout)), n’a pas le droit de flancher, d’être faible. Mais ah, c’est difficile lorsqu’il lui sourit comme ça, avec cette tendresse qu’elle espère ne pas imaginer. Quand sa main glisse sur son visage, efface les sillons tracés par ses larmes trop abondantes il y a quelques minutes de cela à peine. Quand il l’enlace encore, c’est difficile de ne pas rêver que jamais il ne s’arrête. Mais elle n’a pas le choix, s’oblige à s’écarter pour de vrai cette fois pour le laisser ramasser le pop-corn, et s’y mettre aussi. Elle a presque terminé Ivy quand cette question brise le silence.

Elle l’a toujours redoutée, depuis le début de sa transition. Elle s’est imaginée forte face au poids de ces mots, assez fière pour répondre sans hésiter, remettre à sa place quiconque oserait demander quelque chose d’aussi déplacé -car ça l’est. Elle s’est vue offensée, la voix qui gronde, l’arrogance dans chaque syllabe. Sauf que jamais elle ne s'était préparée à l’entendre de la bouche de Sasha. Alors Ivy elle ne crie pas, Ivy elle ne l’agresse pas. Non au lieu de ça elle se fige, main tendue face à un maïs soufflé abandonné au sol. « Non. » Et lui avouer à lui, c’est tellement douloureux. Parce qu’elle condamne alors toutes ses chances de pouvoir un jour peut-être voir ses sentiments réciproques. Personne ne peut l’aimer avec ce corps, surtout pas Sasha qui peut avoir n’importe qui. « J’y travaille. » Mais ça ne change rien, son corps actuel n’est pas normal, il est répugnant. « Écoute… » Son regard reste rivé au sol, incapable de l’affronter. « Tu dois penser beaucoup de choses là maintenant. T’as le droit, j’peux pas t’en empêcher. Mais s’il te plait ne me dis rien, j’suis pas… prête à entendre ça. On t’a jamais posé de questions sur ton passé quand t’es venu t’installer ici, fais pareil pour moi Sasha. J’suis pas une bête de foire ou une anomalie. Je suis une fille, c’est tout ce que t’as besoin de savoir. » Sourire nerveux, elle se redresse finalement. « Laisse, j’vais finir de nettoyer »