underwater ☼ solo

underwater

Ranmaru
Theme song

Intrusion. Maudite application forçant ces pauvres âmes en peine à communiquer. S'aimer... Ou se détester. Ran n'y comprenait rien, à tout cela. L'intérêt derrière une telle idée. Le contrat social était brisé ? Oui et ? Pas assez de naissance. Égocentrisme capitaliste qui animait ces horribles marionnettes de chair. La réussite avant l'amour. Le regard des autres plus important que son propre bonheur. Rien ne faisait sens, rien ne ferait plus jamais sens mais... à quoi bon lutter ? Souffrir inutilement pour une guerre qui serait nécessairement perdue ? Pas l'envie. Pas la force ni le courage. Alors il fallait se résigner, supporter la sonnerie cinglante qui retentissait dès que l'un de ces abrutis se décidait à raconter sa vie. La première étape de « ce grand projet » avait déjà été suffisamment désagréable. Personnes réunies selon leur signe astrologique. Et puis quoi encore ? Comme si le moment où on était né avait un quelconque impact sur sa personnalité, sur son existence. Autant mélanger des inconnus choisis aléatoirement. Tous ces efforts gaspillés. Ranmaru détestait le gaspillage. Détestait l'inutile. Il fallait aller au plus simple. La vie était déjà bien assez compliquée comme cela. La sienne tout particulièrement. Pas de temps à perdre. Jamais.

Seconde étape. Le début de la fin. Nouveaux groupes. Signes mélangés aléatoirement. Comme si ses moindres pensées étaient écoutées. Mieux. Comment pouvait-il critiquer ce qui n'était, au fond, qu'une pâle copie de sa propre solution ? Mieux le temps de quelques minutes, seulement. Avant que tout cela ne dégénère. Les gens étaient enhardis par l'anonymat qu'offrait l'application. Ran aussi, même s'il ne voulait pas se l'avouer. Les réseaux sociaux étaient la source de bien des maux. Haine se déversant sur tous quotidiennement. La loi impuissante face à ce raz-de-marée. Souffrance palpable dans l'air. Difficile d'être heureux, en paix avec soi-même, dans un tel monde. Lui, il ne l'était pas, heureux, en tout cas. Il subissait sa vie. Ne la vivait certainement pas. Pas comme il le méritait. Comme chaque être humain le méritait. Première discussion dans cette toute nouvelle chatroom. Prémices amusants. Les uns se prenant pour des poètes, les autres des experts en technologie, bienséance ou insulte. Une soirée comme les autres sur The Q, en somme. Les choses auraient pu en rester là. Auraient du en rester là. Mais l'inévitable sujet était venu. Source de toutes les angoisses. Peine de mort dissimulée derrière ces quelques syllabes : homosexualité.

Frisson dévorant son épiderme. Lui faisant courber l'échine. Nausée immédiate. Tout son corps réagissait, comme si ce qu'il apparentait à du dégoût suffisait à anéantir ses défenses immunitaires. Dégoût qui n'en était pas un. Mal-être de lire ce qu'il était, au plus profond de lui. Ce qu'il avait refoulé toutes ces années. Un homosexuel. Un vilain, vilain, homosexuel. Pas concerné, pas directement et pourtant... Sensation d'être attaqué, de sentir son secret lui échappé. Secret ? Quel secret ? Il ne savait pas. Ou plutôt si, il savait. Savait mieux que personne. Mais à force de se persuader, de se torturer quotidiennement, on finissait par oublier. Oublier ce qu'on était vraiment. Ce que la nature nous avait donné. Emprise se resserrant toujours plus fortement contre son téléphone dernier cri. L'envie de hurler. De tout casser. Détruire tout ce qui se dressait sur son passage sans comprendre pourquoi. Les doigts hésitaient. Hésitaient à faire ce qu'il avait toujours fait. Mentir. Prétendre être ce monstre. Cette chose qu'il s'était persuadé d'être, au détriment de sa vérité. Mais ne pas le faire, c'était autorisé que son rempart se craquelle. Et si quelqu'un le reconnaissait ? Faisait le lien entre son pseudo et le vrai lui ? Impossible. Il ne pouvait pas se le permettre.

Venin se répandant insidieusement dans cette discussion, infiltrant le réseau, empoisonnant de colère tout le monde. Tout le monde. Ran savait jouer mieux que personne. Mimant son père, son entourage, tous ces gens qu'il ne pouvait décevoir. Religion et stupidité se mélangeant habillement pour former le plus dégoûtant de tout les cocktails. Sacrifice de son intégrité, de sa vérité, pour se tirer du malheur. Pour se tirer du malheur de l'instant présent, sans penser aux conséquences désastreuses sur le reste de sa vie. Retours surprenants, des autres membres de la chatroom. Opposition immédiate face à ses paroles acides, acerbes, violentes. Surprise. Japon pays de l’infamie, de la fausse ouverture vers le monde, les autres. Esprit traditionnel trônant au dessus de tout le reste. Personne pour le soutenir. Surprise devenant choc. Au milieu de tout cela, pourtant, une lueur d'espoir. Cœur pleurant de joie, de soulagement. Combat perdu d'avance, mais qu'il ne voulait, de toute façon, pas gagner. Convaincu que ce n'était pas la peine, qu'ils ne méritaient pas plus de son temps. De sa divine présence. Mensonge. Son esprit pensait quelque chose, et son corps lui réagissait à des ordres bien différents. Comme possédé. Animé d'une autre force. De quelque chose de plus fort que les stratagèmes, les faux semblants.

Téléphone tombant dans un fracas sinistre au sol, aussitôt la conversation archivée de son côté. Tremblements incontrôlables, frénétiques. Pourquoi ? Pourquoi ? Il ne comprenait pas. Plus. Tout cela n'aurait rien du lui faire. Une broutille insignifiante sur son chemin vers la grandeur. Mais cela représentait plus. Tellement plus. Jambes vacillantes le forçant à rejoindre son téléphone, le contact froid et réconfortant du sol. Le monde sans dessus dessous. Plus rien ne faisait sens. Digue s'effondrant pour la première fois depuis des années. Trop d'émotions pour les comprendre, pour tirer quoi que ce soit d'intéressant. Première étape vers, peut-être, des lendemains plus heureux. Rien de sûr. Rien de concret. Rien d'autre qu'une souffrance lui déchirant les entrailles, le cœur. La peine ne pouvait rester silencieuse pour toujours. Les lèvres s’entrouvraient enfin, signe annonciateur du début de cette si charmante cacophonie. Hurlements se mêlant aux larmes perlant le long de ses joues. Couleurs et formes sans plus de substance. Vision trouble. Oreilles bourdonnantes. Tout sortait. Comme s'il était exorcisé. Le démon s'échappait de sa carcasse fumante. Le démon du bigotisme, de la stupidité, de l'archaïsme. Plus rien ne serait comme avant. La transformation serait lente. Raterait peut-être. Mais elle était actionnée. Et il n'y avait plus de retour en arrière.

L'enfer de ses propres mots était venu abattre cette illusion du bonheur qu'il avait porté tout ce temps comme une armure. Depuis ses premiers émois. Depuis lui. Son tout. Mirage brisé à jamais, qu'il essaierait peut-être de reconstituer. Qu'il ne parviendrait jamais à reconstituer. Las de vivre. Las d'être malheureux. De se détester. Et de donner des raisons factices aux autres de le détester. Rome ne s'était pas faite en un jour. Sa révolution ne dérogerait pas à la règle. D'abord faire le tri de toutes ces sensations et sentiments occultés qui revenaient à la surface. Les comprendre. Et commencer son ultime quête. Son Saint Graal. Le vrai bonheur.