(daichi) i'm a special hoe

“LES ENFANTS ! VOUS ÊTES PRÊTS ?” Le sourire sur le visage de son père, Daichi y est habitué. Et ça déclenche le sien immédiatement comme un automatisme bien huilé. Il voit Daisuke lever les yeux au ciel avant de mettre ses chaussures, prêts à suivre le mouvement malgré sa seule envie de rester à la maison pour faire ses devoirs. Il a un concours à préparer. Une fois dehors, ils vont au parc. Et Daichi court partout. Se baisse pour ramasser une fleur et la rapporter à sa maman. Elle lui fait un léger bisous sur la joue avant de lui demander de retourner jouer parce qu’elle et papa doivent discuter avec Daisuke. Et Daichi aime pas trop être mis de côté mais il comprend que certaines choses concernent uniquement les adultes. Alors il s’éloigne doucement. Avant de retourner se cacher derrière l’arbre qui se trouve derrière sa famille sans qu’ils le voient pour espionner ce qu’ils ont à se dire. Il entend pas tout très bien parce qu’il y a beaucoup de bruit autour d’eux. Puis parce qu’il est pas tout tout proche. Et surtout parce qu’ils font tout pour parler le plus bas possible. Mais il comprend quelques mots. “Sûr ?” ou “Police” ou “Prison” ou “Business”. Il entend la voix contrariée de Daisuke avec plus de clarté, parce qu’il semble pas essayer de garder son ton bas lui. “Je vais pas vous suivre dans vos conneries. Et je prie tous les jours pour que Daichi prenne la même décision que moi. Merde quoi. C’est pas une vie ça...” Daichi fronce les sourcils, pas trop sûr de bien tout comprendre. Mais qu’importe. C’est pas comme s’il comprenait la moitié de ce que Daisuke disait la plupart du temps. Daisuke a toujours été bien trop sérieux pour lui. Oh.
Un papillon.
Daichi suit l’insecte, jusqu’à un chien qui l’attrape juste devant lui. Et les yeux écarquillés pendant un petit moment, Daichi finit par exploser de rire. “Damn, le chien !!! ... C’est bon au moins ?” Il s’assit face au chien et commence une conversation avec la jeune femme à qui l’animal appartient. Elle est sympa. Elle a plein de trucs intéressants à dire. Elle lui parle de son groupe préféré. Et Daichi écoute, fasciné.
Il aimerait un jour que quelqu’un parle de lui comme elle parle d’eux.
Daichi a neuf ans.

“Tu veux aller faire de la scène ? Devenir adulé des foules ? Bah vas-y ! Mais ton père et moi ? On t’aidera pas. Jamais.” Daichi est assis face à ses parents, un sourcil soulevé. “Oh. Genre euh… Oust, on te veut plus ici, t’es plus notre fils ? Très kdrama-like m’man.” Sa mère part dans un rire amusé alors qu’elle cherche appuie sur le dossier derrière elle. C’est son père qui reprend la parole, manifestement faussement blasé par leur conversation décalée et pourtant si habituelle entre la mère et le fils. “Non, imbécile. On financera juste rien. Si tu veux aller faire le kéké à la télé, fais donc. Mais compte pas sur ta mère et moi pour payer quoique ce soit. Puis c’est pas plus mal, ça fera plus d’argent pour nous.” Daichi lâche un rire jaune qui devient rapidement sincère. Il avait pas vraiment peur d’avoir cette conversation avec ses parents, parce qu’il les connaît assez bien pour savoir qu’ils font partie de ces parents japonais qui n’ont rien de la génération insupportable qu’est la leur. Ceux qui acceptent les rêves de leurs enfants, même si ça n’entre pas dans le moule des grandes études. Et il sait que s’ils choisissent de ne pas l’aider avec le financement, c’est uniquement parce qu’ils sont un peu déçu que lui non plus, à l’instar de Daisuke, refuse de reprendre le métier de cambrioleurs qui court dans la famille depuis des générations. “Allez. Chiche. Vous verrez. Quand vous serez vieux, enfin plus qu’aujourd’hui, vous regarderez la télé et vous serez super fiers de voir votre fils sur l’écran.” Il écarquille les yeux, jouant l’inquiétude et la peur. “Oh my… Si ça se trouve, quand vous serez vieux comme ça, vous vous souviendrez même plus de moi. Oh. Mon coeur. J’ai mal.” Un sourire prend place immédiatement sur son visage et il entend sa mère rire à ses bêtises. Son père se retient de sourire, il le voit. “Souris papa, ça va pas te tuer d’avouer que j’ai plus d’humour que toi.” C’est son père de sourire, à son père. Et Daichi sait qu’il a peut-être un peu tiré sur la corde déjà raide sur laquelle il marchait. “Oh mais t’es hilarant Daichi. Tu sais ce qui serait hilarant aussi ? Que tu sois puni dans ta chambre, pendant trois semaines. Pas de sortie, à part pour aller à l’école. Ton rêve de devenir le nouveau HYDE, tu le reportes au moins au mois prochain.” La tête de Daichi change du tout au tout. Il se lève, le visage boudeur et s’avance vers la sortie de la pièce qui mène au couloir des chambres. “Juste pour ton information. J’ai zéro envie de devenir comme HYDE. Il me fait peur.” Et c’est avec le visage haut qu’il s’enferme dans sa chambre et commence à écrire des gribouillis qui deviendront les paroles des premières chansons qu’il postera sur sa chaîne Youtube des années plus tard.
Daichi a quatorze ans.

Lorsque Daichi repense aux années qu’il a passé dans la compagnie alors que le taxi qui le conduit chez ses parents quitte l’immeuble, il lâche un long soupir. Il repense au nombre d’auditions qu’il a passé avant de finalement être recruté dans l’une des entreprises des Kyan ; sept. Il repense à la toute première année en tant que trainee. De quelle façon il s’est très rapidement imposé comme l’un des meilleurs. Il repense au premier contrat pour une pub qu’il a eu. Il repense à la rencontre qu’il y a fait. Et il sort son téléphone pour shoot un texto à Izaya. “Just so you know, rien n’est vrai.” Pas qu’il doute une seule seconde que son ami ne le sache pas, mais il veut s’assurer de le lui dire lui-même. Il repense aux deux ans qui ont suivi. Aux nombreuses heures de répétitions qui s’enchaînaient. À quel point il aimait sentir son corps se contracter sous l’effort. À quel point il aimait la douleur parce qu’il savait que plus il souffrait, plus il s’améliorait. Plus il devenait meilleur. Il se souvient de cette époque comme de celle des premiers fans. Premières fans, plutôt. La première apparition du surnom de Golden Boy et les nouvelles amitiés, certaines sincères, certaines beaucoup moins. Il se souvient avec une clarté immaculée des premiers red flags de ce qu’il se passerait plus tard. Il se souvient des regards de certains supérieurs. De pleurs dans les dortoirs de certains qui se pensaient “pas assez bons”. Il se souvient des heures à passer par semaines à essayer de les réconforter avec des nouilles instantanées entrées illégalement dans les dortoirs. Des rires sincères que ces repas amenaient aux trainees. Des récits de vie des uns et des autres. Il se souvient de cette personne qui a reconnu son nom de famille comme celui de cambrioleurs connus. Et que jamais Daichi ne lui a dit qu’ils étaient de sa famille. Puis de l’année du survival. De sa victoire en seconde place, à seulement quelques voix de la première. Il se souvient d’avoir été fier, pas jaloux, pas une seule seconde. Il se souvient de l’année au sein du groupe et de son rôle de clown. Il se souvient des sessions recordings, et des sessions entraînements dans les studios de danse.  Il se souvient des bêtises dans le studio alors que celui qui chorégraphiait les danses leur donnait des gages à chaque erreur. Il se souvient qu’il faisait exprès d’en faire, des fautes. Puis la fin. Le dernier concert. Il se souvient des pleurs. Beaucoup de pleurs. Il se souvient de la soirée partagée derrière. Des embrassades, des échanges de souhaits pour le futur. D’une promesse. Qu’ils se retrouveraient un jour. Que ce soit en tant que rivaux, ou pour une collaboration. Daichi laisse une larme s’échapper sur sa joue lorsqu’il pense au fait qu’il pourra jamais tenir cette promesse. Pas dans ces termes là en tout cas. L’homme le regarde, lui demande s’il va bien. Et Daichi lui sourit, un grand sourire solaire. “Oui, ça va. C’est sympa de votre part de demander.” Puis il se souvient de son retour dans sa compagnie, quand on lui a dit que dans six mois, il ferait ses debuts solo. Qu’ils avaient tout prévu. Qu’il avait juste à enregistrer, à bosser ses choréo, et qu’il serait prêt. Il se souvient du travail fourni, et enfin de son premier live. En tant qu’artiste solo. Il se souvient des lumières, des applaudissements. Il se souvient de tout parfaitement comme si ça datait d’hier. Puis il se souvient du texto de ses parents après son passage à la télé. “Tes vieux parents t’ont regardé à la télé. On t’a pas oublié. C’était bien fils. Bien joué !” Et de celui de Daisuke. “Fais attention à toi frérot, c’est pas un milieu facile. Mais je suis fier de toi. Tu gères.” Puis il se souvient d’il y a trois semaines, juste un an et quatre mois après ses debuts. De cette trainee qui se bat contre les mains assaillantes d’un manager insistant qui n’écoute pas la litanie de “non” qu’elle répète. Il se souvient de la bile dans son estomac et d’avoir couru vomir aux toilettes les plus proches. D’en avoir parlé à des supérieurs en qui il avait confiance. Puis y’a une semaine, les gros titres. “Akamine Daichi, golden boy, nouveau sweetheart des jeunes filles, agresse une fan lors d’un meet & greet. La fan porte plainte pour agression sexuelle.” Il lâche un nouveau long soupir en observant le conducteur du taxi qui le regarde, inquiet, Daichi qui a maintenant le visage couvert de larmes. Daichi lui sourit, sincèrement. “Vous inquiétez pas. Je suis pas triste. Je fais juste le deuil de ce qui a été et de ce qui aurait pu être.”
Daichi a presque vingt-et-un ans.

La barre de téléchargement qui semble interminable. Il a été viré y’a deux mois seulement, mais il a pas besoin de se poser. Il sait que la majeure partie de ses fans sont toujours là pour lui. Qu’ils ne le croient pas capable d’un truc pareil. Le soutien indirect des anciens membres du groupe créé par le survival a aidé. Ainsi que certaines autres aides d’autres idols qui l’ont connu personnellement. Sa première vidéo est intitulée “The fallen gold”. Et malgré le titre d’emo dépressif, il passe la vidéo à rire, à raconter ce qu’il vit depuis la fin de son contrat. Il laisse beaucoup de choses de côté. Beaucoup. Il laisse sa dette de côté. Il laisse l’agression de la trainee de côté. Il en a rapidement lancé un mot à Daisuke, mais il lui a déjà dit qu’il ne pouvait rien faire. Que les personnes derrière tout ça étaient trop puissantes, même pour lui. Il parle de ce qu’il va faire sur la chaîne. A même ajouté quelques preview de vidéos qu’il a déjà tourné et qu’il finira peut-être par uploader. Il a ressorti les gribouillis de quand il était gamin. En a fait des chansons. Des choses qui le représentent. Sur le soleil, sur l’optimisme. Sur cette idée de toujours continuer, toujours sourire.  Quelques danses filmées dans un studio dont il connaît le propriétaire et qui accepte de le lui prêter contre quelques verres de temps à autre.
Daichi a vingt-et-un ans.

“Oy Maman !” Sa mère se retourne lorsqu’elle entend sa voix et lui sourit avant de lui ouvrir ses bras en grand. “Daisuke va venir aujourd’hui ?” Le sourire tombant de sa mère lui donne la réponse à sa question et Daichi se fait une note mentale d’aller lui casser les pieds plus tard par texto pour avoir choisi d’(encore)ignorer le repas de famille du premier. Le premier de chaque mois, la famille se réunit dans la maison des parents pour se donner des nouvelles. Daichi a été heureux de savoir, lors de ses années de trainees que ses parents avaient décidé d’arrêter de jouer aux cambrioleurs pour éviter à Daisuke d’avoir à choisir entre sa famille et son job qu’il aime tant. Et aujourd’hui, ils vivent avec l’argent qu’ils ont déjà récolté durant toutes ses années. Parfois ils se remémorent les années de brigands qu’ils ont vécu, se plaignent que leurs enfants aient pas suivi la même voie, mais finissent par parler d’autre chose. Ce soir-là, alors qu’il s’endort sur son lit de sa chambre de pré-adolescent, il repense à son passé. Et aucune larme ne coule. Il n’en ressent pas le besoin. Il sourit, posant son avant bras sur ses yeux. “Damn. J’suis crevé.”

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