One shot of whiskey [ft Eiji bb]

Il remontait les lunettes le long de son nez, un vieux réflexe, alors qu’il n’arrivait plus à distinguer les lettres de son livre de droit américain. Ses nuits se résumaient à quelques heures de sommeil entrecoupées par des cauchemars qui lui coupaient le souffle. Sa vie n’était qu’un champ de bataille sur lequel il tentait de rester debout. Désespérément. Il s’accrochait à cette chienne de vie sans aucun véritable but. Toujours moqué pour ses rondeurs, il était aujourd’hui beaucoup trop mince. L’anorexie dévorante qui avait rongé chacune de ces cellules et bousillés ses derniers espoirs. Il avait du abandonner la danse. Abandonner New York pour quelque chose qu’il n’avait pas choisi et dont il n’était pas coupable. Alors pourquoi ? Pourquoi est-ce qu’il ressentait ce dégoût viscéral qui lui retournait les tripes à chaque fois qu’il se surprenait à détailler les courbes d’un homme. Affalé sur la table de la bibliothèque, la nuit était tombée et il avait veillé à n’ingurgiter aucune calorie de la journée. Les autres élèves avaient disparu, sûrement pour retrouver leur famille ou leurs amis. Ce que lui n’avait plus. Cette solitude lui écrasait la poitrine au point de le faire suffoquer. Il ne les supportait plus, les crises d’angoisse qui le prenaient à la gorge. Et seul au milieu de cette pièce immense, un silence qui lui renvoyait en pleine gueule sa vie merdique, il sentait les larmes au bord de ses yeux.

Est-ce qu’il allait réellement pleurer ? Est-ce qu’il allait laisser la fatigue le terrasser ? Absolument. Séchant ses joues, et plissant son petit nez pour renifler, il fermait ses livres avec beaucoup de douceur pour ne pas les abimer. La colère, elle l’avait toujours dévasté mais il n’avait jamais été capable de la transcrire. Beaucoup trop bien élevé pour laisser parler ses sentiments. Son père avait toujours eu une manière toute particulière de l’éduquer. Et elle consistait à lever les poings et les abattre jusqu’à ce que la leçon soit parfaitement retenue. Des souvenirs qu’il tentait d’enterrer alors qu’il essuyait ses larmes du revers de sa manche. Il n’avait déjà que très peu d’amis alors si on le surprenait à pleurer il passerait à nouveau pour le type bizarre de l’université. Mais ce que Jayden ne savait pas. C’était que tous les regards posés sur lui ne portaient aucun jugement, ils étaient simplement emplis d’envie. Parce qu’il était gentil. Il était beau. Et intelligent. Des mots qui ne faisaient pas partie de son vocabulaire et qu’il avait rayé de son esprit depuis bien trop longtemps.

la lumière du soleil s'est éclipsée depuis un bon moment déjà, changeant du tout au tout l'ambiance de la bibliothèque. Les étudiants qui restaient tard étaient tous silencieux et ils partaient un à un, donnant à la bibliothèque des airs de pièce fantôme. tu finis de placer tes livres sur les étagères, l'odeur rassurante du papier te rend presque heureux. tes yeux glissent le long de la rangée jusqu'aux table un peu plus loin. à priori plus personne, tu vas bientôt fermer de toutes manières. tu feuillettes rapidement un livre qui te semble intéressant, toujours perché sur le deux marches que tu utilises pour atteindre le haut des étagères, enveloppé dans le silence tu ne fais attention à rien jusqu'à ce que tu n'entendes un bruit. ton coeur manque un battement, tes yeux perçants cherchent l'origine du bruit et tu es déjà prêt à bondir sur de potentiels agresseurs. tu trouves une pluie de cheveux blonds couvrant un visage. un étudiant est toujours là, perdu dans le silence, seul. tu descends rapidement de ton perchoir et t'approches de sa table sans bruit, comme tu sais si bien le faire. tu l'observes un moment, pensif, avant de te rendre compte que le bruit que tu entends, c'est le bruit de ses sanglots timides. tu le vois même s'essuyer les yeux à plusieurs reprises. tu ouvres la bouche et la referme subitement. oh non. tu te retournes, à la recherche d'une échappatoire.

un pas en avant. un pas en arrière. rotation. tu es perdu, tu n'as jamais vraiment vu quelqu'un pleurer, alors quand il s'agit de savoir quoi faire, tu aurais bien passé le bâton à quelqu'un d'autre, n'importe qui, de plus qualifié que toi. tu te souviens de la seule personne que tu aies jamais vu pleurer, Hana. Elle était belle même en pleurant alors tu t'étais dit que probablement pleurer rendait tout le monde beau. puis elle t'avais prit dans ses bras, alors t'avais imaginé que c'était ça, la chose à faire. mais bon. quand même. t'allais pas prendre un inconnu dans tes bras. la deuxième solution ce serait de lui changer les idées, et pour ça dans le peu de drama que t'avais vu, les gens allaient se confier à leurs amis ou boire. t'es quelqu'un de bien, Eiji. faut que tu fasses quelque chose. tu mords ta lèvre avant de te lancer. tu racles doucement ta gorge. est-ce que... ça va ? tes doigts effleurent légèrement son épaule. c'est presque comme le prendre dans tes bras, donc probablement la bonne chose à faire. tu passes ta main à l'arrière de ton crâne, tu es nerveux. les contacts humains et toi vous êtes comme deux étrangers et t'as peur de faire un faux pas. eum. je vais fermer la bibliothèque. est-ce que tu... enfin. vos regards se croisent pendant un long moment. ses yeux sont brillants et rougis mais tu le reconnais. vous avez passé un moment dans un café avec un groupe d'autres personnes, et puis il vient souvent. Et il s'assoit souvent à la même table, avec ses lunettes et ses livres. il doit être studieux. il est beau aussi, tu te fais la remarque à chaque fois. même quand il pleure. ça confirme ta théorie. je te paie un verre. voilà, c'est dit. tu avales difficilement ta salive en attendant sa réponse. le pire, c'est que tu ne bois pas. genre, jamais. rien que l'idée de l'alcool te donne mal à la tête. entre les mensonges que tu sors quotidiennement à Hanae et maintenant ça, ton cerveau a vraiment un souci quand il s'agit de parler à quelqu'un.

Perdu dans ses pensées abyssales et au goût amer, il n’avait pas senti la présence derrière lui et c’était dans un sursaut qu’il lâchait son sac, le coeur en vrac et le souffle coupé. Jayden, il se sentait honteux de s’être laissé surprendre durant cet instant de faiblesse. Une vulnérabilité qui lui collait à la peau et dont il n’arrivait pas à se débarrasser. Reniflant une dernière fois, il essuyait à nouveau ses joues de sa manche déjà humide et ôtait ses lunettes pour les ranger dans leur étui. Il l’avait déjà vu cet homme. Au café. Un soir de pluie un peu trop mélancolique. Il était beau. Et il dégageait une certaine force qu’il lui enviait. Il ne lui serait pas difficile de le foutre à la porte avec un bon coup de pied aux fesses.  « Pa…pardon ! J’avais pas vu l’heure. ! Je vais m’en aller ! » qu’il bégayait, vite rattrapé par la panique. Et il se figeait, surpris par ce presque contact. Inattendu. En se baissant pour ramasser son sac, il cognait son front contre la table dans un bruit sourd. Une grimace plus tard, il massait doucement sa peau douloureuse, les joues un peu plus rouges. Dans le genre maladroit, on lui avait souvent discerné la palme d’or. L’inconnu le mettait mal à l’aise avec ses traits fins et ses lèvres pulpeuses.

Prêt à s’enfuir pour se dissimuler sous sa couette jusqu’à l’aube, il clignait des yeux plusieurs fois. Pas tellement certain d’avoir compris ce que le bibliothécaire était en train de lui proposer.  « Un verre de quoi ? » Certainement pas de jus d’orange bio du jardin de sa grand mère. Jayden, il ne buvait pas d’alcool. Beaucoup trop calorique pour ce corps qu’il tentait désespérément de garder mince et suffisamment musclé pour ne pas se briser en deux. Il avait l’air d’un gamin perdu, au milieu de cette salle, incapable de prendre une décision. Le meilleur choix aurait été de refuser, mais c’était en faisant claquer sa langue contre son palais qu’il  arrivait à faire preuve d’un peu de courage.  « D’accord.» Il était temps de prendre des risques. Qu’est-ce qui pouvait lui arriver de pire que se faire tabasser par son père ou se faire trahir par celui qu’il avait aimé. Il la ressentait, cette aura bienveillante qui émanait de cet homme. Glissant sa chaise sous sa table, il prenait le chemin de la sortie, son genou gauche lui imposant une démarche légèrement bancale et plus lente.  « Je sors pas souvent… je sais pas trop où aller… » qu’il disait timidement, mordillant sa lèvre d’une manière nerveuse mais presque attendrissante. Jamais il ne s’était autorisé un moment de détente en compagnie d’un inconnu.  « Jayden ! C’est mon prénom. » Et pas celui de son chien, c’était important de préciser.

il sursaute lorsque tes mots résonnent dans la pièce déserte et tu te sens presque mal. mal à l'aise en tous cas surtout quand tu le vois essuyer précipitamment ses joues en s'excusant, visiblement paniqué. et encore pire lorsqu'il se cogne violemment le front contre la table. ta grimace horrifiée passe inaperçue heureusement. n'en reste pas moins que tu n'as jamais voulu le rendre aussi nerveux, sans doute pour ça que ta langue n'en fait qu'à sa tête et lui propose un verre. l'étudiant parait surpris, confus presque, comme si personne ne lui proposait jamais de sortir. pourtant tu étais toujours persuadé, depuis le premier jour, qu'il était super populaire. après tout, il avait le visage pour. un verre de quoi ? cette fois c'est à ton tour d'être confus. incertain du genre d'alcool qui était de mise dans cette situation. tu sors le premier qui te vient à l'esprit pour avoir vu ton père en boire plus que nécessaire. whiskey ? ça sonne comme une question entre tes lèvres. il finit enfin par accepter, te permettant de reprendre ton souffle correctement. c'est bon, t'as réussi. tu t'es pas fait recale. il remet la chaise en place avant de marcher vers la sortie, ça change de la plupart des étudiants qui foutent le bordel. tu remarques malgré toi que sa jambe gauche semble le ralentir. ce foutu don est une plaie parfois. ah. je connais un endroit pas loin... tu t'es fait mal ? tu lâches en éteignant les lumières au passage.

l'endroit en question est un bar à peine assez grand pour que cinq personnes tiennent dedans mais toujours vide. coincé au fond d'une allée sombre et minuscule. tu connaissais shinjuku comme ta poche à force de venir y tuer des gens. mais il valait mieux garder ça sous silence. Djé-i-den. c'est pas japonais ça. t'as un peu peur de mal le prononcer, toi l'anglais, c'est pas ton truc. jayden ? c'est... anglais ? moi c'est eiji mon prénom. tu esquisses un sourire. à force de parler à des gens à la fac, tu commences à devenir curieux. tu sais pas si c'est une bonne ou une mauvaise chose mais t'espère que c'est bien. t'hésites un peu à parler. t'as pas l'habitude. toi t'as toujours été un grand silencieux, déjà parce que t'avais rien à dire et puis ensuite parce que même si t'avais eu des choses à raconter, ça intéressait personne. avant. mais plus tu rencontrais de gens et plus tu réalisais que les bavards étaient les plus attachants, et que sans parler, tu pourrais jamais avoir d'amis. je te vois souvent à la bibliothèque. tout seul. ça commence bien, monsieur sans-tact. tu frottes l'arrière de ton crâne sans t'en rendre compte, véritable tic nerveux ça. tu dois avoir des bonnes notes... putain mais moins de conversation tu meurs. t'es incapable d'aligner deux mots ou de trouver un sujet intéressant.

Whiskey ? Il n’en n’avait jamais bu. Beaucoup trop fort et le genre de breuvage que son père s’enfilait comme du petit lait une fois les portes de la villa fermées. Mais Jayden il était trop bien élevé pour refuser et le bibliothécaire semblait bien s’y connaître alors il ne pouvait que suivre ses recommandations. Peut-être qu’il s’était cogné la tête un peu trop fort contre la table pour avoir accepté une sortie alors qu’il avait déjà la nausée rien qu’à l’idée d’ingurgiter quelque chose. Clopinant à ses côtés, il essayait de suivre son rythme, toujours gêné par cette jambe en vrac. Il ne se plaignait jamais et ne demandait pas aux autres de ralentir. Il n’avait été qu’un poids depuis sa naissance le blondinet et il refusait de l’être pour cet homme qui avait eu la gentillesse de l’inviter au lieu de se moquer de lui ou de simplement l’ignorer.  « Ma jambe ? C’est… Une blessure qui s’est jamais vraiment remise.» Et il ne comptait pas entrer dans les détails, ce qui impliquerait d’aborder le sujet de son surpoids et de son anorexie. Il avait accepté le fait de ne plus jamais pouvoir faire de sport ou de ne plus pouvoir marcher correctement. Chaque frottement de son genou était douloureux mais il avait appris à serrer les dents et à supporter la douleur.

C’était un sourire attendri qu’il lui offrait alors qu’il prononçait son nom. Avec une certaine difficulté, comme la plupart des japonais.  « Oui je viens de New York.» Et il en était drôlement fier l’étudiant !  « C’est joli Eiji…» qu’il murmurait un peu mal à l’aise en jouant nerveusement avec son piercing. Si son père apercevait ce bijou, il lui collerait sûrement la raclée de sa vie. Son homosexualité le rebutait et il refusait d’accepter les préférences de son fils. Il se devait d’être irréprochable. En plus d’être obèse, il n’était qu’une petite pute. Voilà les derniers mots qu’il avait entendu et qui hantait la plupart de ses nuits. Une violence qui correspondait à tout ce qu’il avait toujours connu mais qui continuait de le choquer et de secouer son coeur déjà bien malmené.  « Personne ne me remarque jamais d’habitude.» Il était étonné Jayden et légèrement ravi d'avoir attiré son attention.  « Euh oui. J’essaye en tout cas. J’étudie le droit, alors ça prend beaucoup de temps. Enfin… tu t’en fiche sûrement pardon.» Qui pouvait bien s’intéresser à la vie d’un minable tel que lui.  « T’étudies aussi ici ? Ou tu gères juste la bibliothèque ?» Il avait peur de se montrer un peu trop curieux, et il n’avait jamais été très doué pour engager des conversations avec des inconnus. Son bras frôlait celui d'Eiji alors qu’il le suivait à l’extérieur, saisi par la fraicheur de la nuit.  « Tu vas souvent dans ce bar ?» qu’il demandait l’air toujours aussi innocent et le coeur plus léger. Il n’était pas seul ce soir. Et c’était drôlement agréable.

tu tiques un peu à l'énoncé d'une blessure jamais remise. t'aimerais en savoir plus, qui l'a blessé, pourquoi ça se remet pas ? mais tu préfères te taire. c'est pas tes oignons. puis il manquerait plus qu'il te sorte un truc du genre "ma mère est morte en essayant de me protéger d'un feu" tu dirais quoi après ça. non, il valait mieux la jouer sûre. ah.... j'espère que ça guérira bientôt. candide alors que t'avais vu les pires horreurs du monde et que tu savais très bien que rien ne s'arrangeait jamais. mais tu mentais pas. t'espérais vraiment qu'il irait mieux bientôt. tu finis par le faire sourire, sans trop savoir comment t'as fait mais t'es déjà fier de toi, après tout c'est pour ça que tu t'étais embarqué dans cette histoire de whisky, tu devais le faire oublier tous ses problèmes. en les noyant dans l'alcool. ou tout autre moyen qui marchait. à l'énoncé de son pays d'origine tes yeux s'ouvrent comme des soucoupes et même ta bouche offre subitement un arc ébahit à ton interlocuteur. WAW. nyuーyokuー ! t'es impressionné. par cet inconnu qui a déjà une histoire formidable. il vient des états-unis, l'eldorado dont tout le monde parle avec des étoiles dans les yeux. il peut surement parler anglais et le regard que tu pose sur lui change du tout au tout. avant tu le trouvais mignon, maintenant tu le trouves giga cool. tu réfléchis un instant à ce que tu connaissais de la ville qui ne dort jamais avant de le bombarder de questions. alors t'as vu la statue de la liberté ? elle est grande comme quel building ? j'ai vu que celle d'Odaiba mais c'était déjà impressionnant. et comment sont les hot-dogs ? et le grand parc là, ça a l'air géant ! HAN. Est-ce que tu connais Alicia Keys ? J'ai entendu dire qu'elle vivait à New-York, j'aime bien ses chansons. Puis elle est jolie. tu mords subitement l'intérieur de tes joues. non mais ça va pas ou quoi, qu'est-ce qu'il te prend de l'emmerder comme ça, si ça continue tu vas finir par aller boire un verre de whisky tout seul. ah. désolé, j'ai jamais vu d'étranger. enfin d'américain. c'est... vraiment cool. t'esquisses un sourire timide.

tu fronces légèrement les sourcils et lâche un léger rire. bien sûr que si, je vois tout les regards fixés sur toi à la bibliothèque. surtout les filles. les pieds dans le plats, comme toujours. tu souffles doucement sous sa remarque et tu l'arrêtes subitement en tirant sur son bras pour attraper son regard. t'es la personne la plus intéressante que j'ai rencontrée dans cette bibliothèque. tu lâches ça comme si c'était une évidence avant de reprendre ta route. tu peux déjà dire qu'il a aucune confiance en lui. personne ne le remarque ? il n'intéresse personne ? des conneries ça. ça te pousse à réviser ton jugement, il est pas populaire. et maintenant que t'y penses, c'est vrai qu'il est vraiment toujours tout seul. moi je suis le documentaliste. j'ai même pas fini le lycée rire nerveux. pourquoi t'as dit ça ? manquerait plus qu'il te demande pourquoi, tu te vois bien lui répondre que t'étais trop occupé à coller des balles dans la tête des ennemis de ton père pour ça, tiens. pas du tout, j'y suis jamais allé. mais de dehors ça avait l'air bien. tu réalises que t'as été stupide de dire que tu connaissais un endroit alors que t'y avais jamais mis les pieds. mais bon. quelques pas de plus et vous seriez arrivés, tu voyais déjà l'établissement au bout de la rue. c'est là-bas là. 

Il était gentil le bibliothécaire, et Jay, il n’avait pas le courage de lui dire que cette blessure, il allait se la trainer jusqu’à la fin de ses jours. Ce n’était pas vraiment le meilleur sujet pour démarrer un semblant de conversation avec un quasi inconnu.  « Un peu de rééducation et ça devrait aller…» Oh le menteur. Mais qui avait envie d’entendre son histoire larmoyante. Il se sentait faible le new yorkais, et il l’avait été. Autant physiquement que psychologiquement, alors peut-être que oui, ce verre pourrait lui faire du bien. L’aider à se détendre et oublier à quel point il se haïssait. Il préférait de loin discuter de sa ville natale, et il ne pouvait s’empêcher de sourire tendrement à l’entente de son accent. C’était assez charmant. Presque innocent. Et toutes ses questions lui occupait l’esprit. C’était qu’il était curieux Eiji ! Ce n’était pas pour lui déplaire, il adorait New York.  « Elle est pas si grande que ça la statut de la liberté, mais c’est impressionnant quand même ! Bien plus petite que l’Empire State Building ! Et les hot dog sont les meilleurs des Etats Unis et je dis pas ça parce que j’ai grandi la bas ! Le mieux c’est de prendre dans la rue. Dans les restaurants c’est trop cher et moins bon. » Et voilà qu’il devenait de plus en plus bavard l’étudiant. Un débit de parole incessant qui ne lui ressemblait pourtant pas.  « Central Park ? Y’a plein d’écureuils la bas ! Mais j’ai jamais rencontré Alicia Keys… Mais c’est vrai qu’elle est jolie.» Pas tellement son genre, un peu trop féminine, mais il ne pouvait pas nier la finesse de ses traits et son beau sourire.  « Et moi je m’emballe dès qu’on me lance sur le sujet… pardon… C’est que ça me manque un peu…» Sa maison, ses amis, ses attaches… Son père lui avait tout arraché, sans une once de culpabilité.

La remarque du beau brun, elle le faisait rougir et c’était par instinct qu’il baissait la tête pour dissimuler ses joues.  « Dis pas n’importe quoi…» Depuis quand les filles le regardaient ? Oh Jayden, il n’avait réellement pas conscience de son charme.  « T’es plutôt pas mal non plus…» qu’il disait pour lui retourner le compliment. Il devait forcément être quelqu’un de bien et d’interessant pour lui avoir proposer cette sortie. Beaucoup d’autres auraient ignorer ses larmes en le faisant simplement sortir de l’établissement. Mais pas lui. Il était différent.  « T’as jamais pensé à repasser ton diplôme ? Je dis pas que t’en as besoin hein ?!» Le blondinet, il ne voulait pas lui donner l’impression de le juger, parce que ce n’était clairement pas le cas. Il tentait simplement de s’intéresser à lui parce qu’il le méritait.  « Oh c’est pas grave on pourra le découvrir ensemble comme ça…» Mais il n’était pas des plus serein une fois à l’intérieur du bar minuscule. Se massant la nuque légèrement mal à l’aise, il continuait de jouer avec son piercing, le poussant contre son palais.  « Euh… On doit boire quoi ? » Un verre, juste un seul. Ou il allait devoir sauter quelques repas pour compenser toutes ces calories.  « T’as quel âge au fait ? » Il ne doutait pas de sa majorité, il se montrait simplement curieux et intéressé.

tu es soulagé à l'idée qu'il guérira bientôt. comme il dit, un peu de rééducation et il sera neuf comme un bébé. son sourire t'empêche d'entendre le flot d'informations sur new-york qu'il déverse subitement. t'es obnubilé par les mouvements de ses lèvres pulpeuses et la pointe de son émail brillant par moment. tu te réveilles à l'énoncé d'Alicia Keys et tu détournes subitement le regard, presque troublé. c'était quoi ça ? t'es taré, c'est ça ? tu chasses le moment de ton esprit. hyper gênant. t'as l'air de vraiment aimer new-york. pourquoi t'es venu te perdre à Tokyo ? parce que pour toi, cette ville n'a rien d'extraordinaire. tu y a passé l'intégralité de ta vie. les mots du blond te font sourire, amusé par le manque de confiance en lui qui n'a aucune raison d'être. vraiment aucune. tu réfléchis un instant. repasser un diplôme ? toi ? pour quoi faire ? t'avais eu aucun mal à falsifier un diplôme pour obtenir ton job actuel. ouais, j'en aurais probablement pas besoin. du diplôme. parce que dans quelques mois tout au plus tu finirais par te faire rattraper par ton passé, tu pourrais jamais vivre de petite vie tranquille loin du sang, de la haine, de la poudre à canon. ton destin était tracé depuis ta naissance et au moment où tu t'en étais écarté, t'avais signé ton arrêt de mort. sourire triste avant d'entrer dans le bar à la suite de ton tout nouvel acolyte.

tu t'accoudes au bar en promenant ton regard sur les centaines de bouteilles d'alcool alignées le long des murs. T'en avais aucune idée, toi, de ce que vous deviez boire. T'avais lâché whisky comme ça, sur un coup de tête, sans te douter qu'il y avait encore des dizaines de marques et de façons différentes de boire ce liquide ambré. euh. deux whisky s'il vous plait. votre meilleure bouteille. réalisant instantanément que ça allait probablement couter cher, tu déposes rapidement ta carte bancaire étincelante sur le comptoir. t'étais redescendu au gold, papa avait prit soin de radier ta black card du compte familial, évidemment. mais t'étais prévoyant. tu serais pas parti sans avoir mis de l'argent de côté, t'étais loin des bas-fonds. c'est pour moi, bois tout ce que tu veux. c'est moi qui t'ai invité alors... et puis tu travailles. pas lui. ou alors un job étudiant. t'hésites un instant à mentir sur ton âge. t'as envie d'être sincère mais t'as peur d'attirer des questions mal placées. comment t'as pu avoir un job à la fac à 23 ans, sans diplôme d'études secondaires ? tu mordilles ta langue un moment, incertain avant de lâcher la vérité. t'es déjà parti sur des mensonges avec trop de monde, tu commences à t'y perdre et en plus ça te réussit pas. vingt-trois ans. pourquoi, tu me donnais quel âge ? et puis t'as quel âge, toi ?

Sa question, elle lui faisait l’effet qu’un coup de poing en plein estomac. Pourquoi est-ce qu’il avait quitté New York hein ? Pas par choix. Son père lui avait imposé cet échange universitaire pour se débarrasser de son fragile de fils, et tenter d’étouffer ses déviances. Un sujet toujours tabou qu’il ne souhaitait pas aborder avec le bibliothécaire. Aussi gentil soit-il il n’était pas encore prêt à se confier à un quasi inconnu sur les méandres de sa vie.  « C’était pour… changer d’air un peu. » Et le changement, il avait été violent pour le gamin perturbé qu’il était. L’adaptation avait été difficile avant de se rendre compte que la distance le protégeait des coups et des insultes de son paternel. Il avait pu se reconstruire, et il trouvait aujourd’hui le courage d’aller boire un verre dans un bar. Son psy aurait sûrement été fier de lui. Il hochait simplement la tête au sujet de son diplôme. Eiji, il avait sûrement ses démons à lui, et il ne comptait pas insister sur ce qui semblait être un sujet tout aussi sensible que son anorexie. Tout le monde n’était pas fait pour les études. Jayden, il avait toujours adoré les livres, curieux de tout et avide de connaissance. Il n’en n’avait jamais assez, et s’il n’avait pas eu besoin de travailler dans cet immonde fast-food, il aurait sans doute entamé un double cursus.

Du whisky ? Il n’en n’avait jamais goûté et il se retenait de sortir son téléphone pour vérifier le nombre de calories que pourrait contenir son verre. Il préférait se concentrer sur les beaux yeux du japonais. Et s’il d’ailleurs un peu trop perdu dans son regard, parce qu’il n’était pas assez rapide pour intercepter sa carte bancaire.  « Merci mais… ça me met un peu mal à l’aise… » Surtout qu’il avait demandé la meilleure bouteille ! Est-ce qu’il pouvait réellement se le permettre ?  « La prochaine fois, ce sera moi alors. » Il n’avait pas pour habitude de se faire inviter le blondinet, et il tirait nerveusement sur ses manches pour tenter de se détendre. Rien ne pouvait lui arriver ici. Il avait cette drôle d’impression de se sentir en sécurité aux côtés du brun.  « Oh moi aussi. Vingt trois ans. Non je sais pas, c’était par curiosité. J’ai eu des soucis de santé alors j’ai redoublé certaines classe c’est pour ça que… que je suis avec les plus jeunes. » Il avait ressenti ce besoin idiot de se justifier, d’essayer de prouver qu’il n’était pas stupide et que si la vie n’avait pas été aussi chienne, il aurait presque obtenu son diplôme de droit.  « Ça te plait de travailler à la bibliothèque ?  » qu’il demandait d’un ton toujours aussi doux alors qu’il attrapait le verre tant attendu. Reniflant le liquide, il plissait son nez en grimaçant légèrement.  « Merci » Et un sourire plus tard il avalait sa première gorgée qui lui brulait la gorge et c’était une petite quinte de toux qu’il tentait d’étouffer.  « C’est fort un peu… » Légèrement gêné de ne pas être un véritable cowboy, il se massait la nuque, mordillant sa lèvre.  « Désolé, je suis pas un super compagnon de beuverie…» Et à quoi est-ce qu’il était bon Jay ?

ahー ! tu comprenais parfaitement, t'avais envie de t'échapper aussi parfois. mais c'était difficile de partir à l'étranger, t'avais plein d'excuses pour te retenir. tu parles pas leur langue, tu connais pas leurs lois, tu saurais pas comment faire pour vivre ailleurs. c'est facile de rester ici, c'est confortable. ca doit être difficile quand même. comment tu fais pour parler japonais ? t'imagine que sa langue maternelle c'est l'anglais puisqu'il vient des états-unis, pourtant son japonais te parait impeccable. peut-être qu'il te donnera des conseils si jamais t'avais besoin d'apprendre une autre langue dans le futur. on sait jamais. t'avais pas pensé que lui payer un verre le mettrait mal à l'aise, tu te sens un peu mal pour lui mais tu sais pas quoi faire pour réparer ça, il te sauve en disant que la prochaine fois ce serait pour lui, ouais tiens voilà, la prochaine fois il pourrait te payer un coca ça le ruinerait pas, ça t'allait bien.

tu acquiesces d'un mouvement du menton avant d'attraper entre tes doigts le verre que le barman vient de mettre devant toi. tu le toise nerveusement, ces quelques centilitres de liquide ambré ne te tentent pas plus que ça, c'est pas le goût qui te fait peur, c'est les effets. mais bon, un verre ça va pas te tuer. t'as l'air d'avoir beaucoup de soucis de santé. désolé pour toi. simple constatation, encore une fois sans grand tact, ça te rendait un peu triste de voir qu'il avait déjà l'air d'avoir plus de problèmes que de bons moments passés. mais après tout, tu savais rien de sa vie, tu l'avais observé quelques fois pendant des sessions d'études à la bibliothèque, réveille toi. oui, j'aime l'ambiance. et le calme. et observer les étudiants. creepy mais c'était la vérité au moins. tu le regardes prendre sa première gorgée en tentant d'appréhender le goût du fameux whisky, tu l'imagines sucré avec un goût de miel alors tu bois tout. d'un coup. le liquide roule dans ta gorge comme de la lave en fusion, balayant tout sur son passage et ne laissant qu'un goût amer brûlant te faisant légèrement grimacer. ah. oui. très bon. who are you kidding ? tu fais un signe au barman qui l'interprète mal et te ressert un verre. c'est vraiment pas ce que t'avais en tête, tu vas devoir te retaper ce feu dans la gorge une deuxième fois génial. mais le pire c'est quand même le goût, tu comprends pas comment les gens font pour apprécier ça. mais je crois qu'après on devrait changer d'alcool. je vais prendre une bière. même si tu t'adressais pas au barman, il dépose subitement un demi devant ton visage dépité. tu sais vraiment pas dans quoi tu t'es embarqué mais ça sent mauvais. et toi ? faut pas oublier ton invité, après tout c'est lui qui est censé boire, c'est pour ça que vous êtes là et pourtant c'est toi qui te retrouves comme un con avec deux verres devant le nez. la chaleur te monte subitement aux joues, t'es persuadé d'être rouge comme une tomate, même tes yeux doivent être vitreux. tu perds pas de temps et avale d'une traite ton deuxième whisky, comme on enlève un bandage, valait mieux ça que de faire trainer. tu te lave la bouche avec une gorgée de bière qui est pas fameuse mais tout est meilleur que le faux miel. le feu semble parcourir tes veines et la situation te fait subitement rire. j'ai jamais bu autant d'alcool. de ta vie. ouais, c'était le moment d'avouer la vérité. t'avais jamais bu ne serait-ce que deux verres. t'as dû aller à plein de soirée toi à New-York, je suppose. j'aurais bien aimé.