Éclipse -- Hotaru

Pluie d’étoiles ;

Dans les cieux divins.

Tombent les astres dans les cœurs de ces êtres insignifiants aux yeux des dieux ; parce qu’ils ne seront jamais aussi grands qu’eux ; aussi g l o r i e u x que ces rois alors que leur couronne n’est faite que des joyaux putrides offerts par les mécréants ; ceux qui gisent au fond des ruelles, artères d’une capitale maudite de bien des façons. Et les vices sont bien plus présents que l’on ne le pense, ils sont là, dominent le sang de ces gamins qui s’abandonnent aux péchés ultimes, ils sont là, pour venir dévorer les âmes abandonnées jusqu’à ce qu’elles éclatent. Et qu’il y a-t-il à sauver à présent ?

R i e n.

Et il se souvient, Nao, des regards échangés, il se souvient de la chair décousue qu’il avait découvert sous les couches de vêtements, ô lui aux mains d’argent, proclamé sauveur lorsqu’il a tenté de tout réparer, l’épiderme comme les cœurs qui battent jusqu’à imploser, il voulait tout faire briller, Nao. Il veut le bien, sans savoir qu’il n’y a que le mal qui l’entoure, qui dépose ses phalanges contre son épiderme, il n’y a que les ténèbres qui habitent les myocardes dans ces carcasses. Et il ne pourra jamais rien sauver ; pas même lorsque l’amour naîtra en son sein.

Hotaru le hante ;

Hotaru sera sa fin.

Ou bien ; son divin renouveau.

Les yeux se sont posés sur le pansement lorsque l’homme s’est retourné trop r a p i d e m e n t vers lui. Il a cru y voir ; le blanc se teinter d’un rouge sang et alors, le regard s’est changé, inquiétude visible alors qu’il se pince les lèvres, coupable d’un mal, lui aussi. « Allons à l’intérieur. » Qu’il souffle entre deux regards vers les habitants, et discrètement, il passe un bras dans le dos d’Hotaru pour le soutenir si jamais il perd l’équilibre. Et les pas se meuvent jusqu’à la maison, ils se font discrets alors qu’ils tentent d’éviter tout contact avec autrui. « Ca s’est rouvert ? » Qu’il glisse dans un murmure, les yeux qui ne peuvent le quitter. « J’ai cru voir du sang. Laisse-moi voir. La salle de bain est là. » Qu’il dit en montrant la pièce de la tête. « Tu veux bien me refaire confiance ? »

Une nouvelle fois.

Et sa voix qui résonne dans ses oreilles et dans son esprit. Qui semble ne jamais s’éteindre. Qui lui a juste demandé de discuter, et son timbre qui ne s’éloigne jamais loin. Qui reste dans son cerveau comme une mélodie répétitive mais dont on ne se lasse pas. Il a été surpris par sa proposition, il a même été surpris par son arrivée. Et il aurait pas dû se retourner aussi violemment, de cette façon. Pas alors que ses plaies étaient encore fragiles et d’autant plus fragilisées par le petit plongeon inconscient dans la piscine qui a rendu l’eau rosé. Il a du mal. À réfléchir. Quand Nao est aux alentours. Et il déteste ça.Il lui fait perdre ses réflexes, sa raison. Et c’est bien une des pires choses qui pourrait lui arriver. Qu’est-ce qu’il ferait, sans ses réflexes ? Son monde tourne autour de ses réflexes. Son job, l’acceptation de sa  famille, tout tourne autour  de ses réflexes. Mais quand Nao est aux alentours, c’est  comme si sess réflexe  étaient absents complètement. Il arrive même pas à prendre soin de lui-même et se fait mal tout seul. Il voit, Hotaru, que Nao repère le sang qui imbibe le pansement, malgré qu’il ait posés la main dessus. Il fait mine que c’et pas grave, que ça le touche pas. Parce qu’après tout, ça lui fait pas mal. Pas physiquement. Ça le fait chier de savoir qu’il a ses deux blessures, ces deux ouvertures dans le corps, parce que c’est des faiblesses. Ça fait pas mal comme ça (pas trop, c’est supportable), mais si ça venait à le savoir à sa prochaine exécution et que quelqu’un avait la meilleure idée de le frapper pile à ces endroits là… Nao. Nao est la seule personne au courant. Lui et son meilleur ami. Il sait depuis des années que son meilleur ami ne le trahirait jamais. Il le sait. Tout le monde chez les Kyudo et bien même chez d’autres personnes le savent. Mais Nao ? Nao, personne le connaît, pas même lui. Qui peut lui assurer de qui il est, de qui il n’est pas. Qui peut lui assurer qu’il n'est pas un chien des Nakano, ou d’autres mafias qui essayent de revenir sur le devant de la scène ? Il peut pas le savoir. Mais il a envie de lui faire confiance, de croire que c’est pas le cas. Puis, à part s’il est très bon comédien, Hotaru aime à penser que s’il sait si mal faire les points de sutures, c’est probablement qu’il a jamais eu à recoudre de plaies avant les siennes. Et chaque personne faisant partie de la mafia a déjà eu à recoudre des plaies, au moins une fois dans sa vie.
Il lui propose de rentrer à l’intérieur, l’aide même à rentrer à l’intérieur, le soutient un peu. Sa main dans son dos, Hotaru la sent. Oh oui. Il la sent. Bien présente. Bien plus présente qu’elle ne l’est réellement probablement. Il se rend compte de beaucoup de choses. De la douceur des doigts de Nao, mais pas que. De l’attention qu’il porte à croiser personne, ou en tout cas à éviter les questionnements en évitant que leur regards se portent sur ses plaies. Il se rend compte du chemin qu’il prend aussi. Vers la salle de bain. Ça s’est rouvert ? Oui. Bien sûr que ça s’est rouvert. La surprise… Hotaru s’était jamais laissé surprendre comme ça avant aujourd’hui. Il sait déjà que son meilleur ami se moquera de lui lorsqu’il le verra. Enfin. Lui peut-être pas. Mais elle, c’est évident. Lui essayera de le raisonner, de lui dire de ne pas accorder sa confiance si facilement. Mais c’est différent avec Nao. Et il trouve ça flippant Hotaru, parce qu’il a envie de lui accorder sa confiance, à Nao. C’est facile. C'est naturel.
Il se dirigent vers la salle de bain, et Hotaru en profite lorsqu’il ouvre la porte pour lui répondre à ses trois dernières questions. “Hm… Je crois que ça s’est rouvert pendant la soirée.” Pendant la soirée… Ouais. Rien à voir avec lui. Rien. Du tout. Il s’assoit sur le bord de la baignoire et retire enfin sa main de son pansement qui n’a plus  un seul millimètre de couleur blanche. “Vas-y.” qu’il finit par lui dire.
Il a aucune idée de ce qu’il le pousse à lui faire tant confiance. Aucune idée. Mais lorsqu’il le regarde,  qu’il le regarde vraiment. Lorsqu’il voit son visage, ses lèvres, ses yeux,
son regard inquiet posé sur lui,
son coeur lui laisse pas d’autre choix que de lui accorder toute sa confiance.

Pluie qui vient ;
Recouvrir les larmes.

Sentiments bousillés au fond de ces myocardes ; gamins abandonnés sur les terres stériles ; putrides. Et le pulsant qui s’efforce encore pour battre ; qui ne bat plus que pour chercher les rêves dans les entrailles de ces univers, à la recherche des sublimes joyaux. Et parce que c’est dans ses yeux qu’il veut partir à leur recherche, peut-être que c’est dans ses yeux qu’il voudrait se perdre sans jamais retrouver son chemin. Hotaru est spécial, bien plus qu’un simple voisin, bien plus qu’un simple inconnu. Il est ce môme sûrement plus âgé que lui ; à la chair déchirée qu’il a tenté de soigner de ses mains faussement salvatrices, fils qui ont éclaté d’un simple mouvement, faisant de nouveau valser le cruor dans l’air du temps et sur la peau que l’on aimerait chérir de ces délicatesses légendaires.

Et il l’aura conduit jusqu’à la salle de bain où le corps aura été déposé avec tendresse dans l’espoir de ne pas le blesser davantage, cœur qui se serre, peut-être même jusqu’à se briser, mais il n’y a jamais rien pour briser le mur, et le froid que transmet son visage pourtant son pur. Il n’a pas les mains talentueuses, Nao, mais il fait de son mieux, peut-être que c’est de trop, peut-être que ce n’est pas assez, mais Hotaru ne s’en plaint pas, il ne dit jamais rien même lorsque la douleur semble insupportable. Délicatement, lorsqu’enfin, il laisse place à la blessure qui se gorge de nouveau de sang, Nao s’empresse de prendre un linge puis de le mouiller avec de l’eau tiède pour venir essuyer et tenter d’arrêter l’hémorragie qui trace des rivières le long de son épiderme si blanc et pourtant tant souillé. « J’aurais dû mieux faire les fils. » Il se mord la lèvre, torture divine qu’il s’inflige toujours lorsque la honte s’empare de son jeune cœur. « Je peux essayer de recoudre de nouveau, je pense qu’il y a le nécessaire ici… » Tout en continuant à essuyer le liquide qui s’échappe toujours. « Je sais que c’était pas parfait, mais c’est soit ça soit… » Qu’il prononce alors qu’il relève la tête en direction de la sienne, les regards qui se rencontrent de nouveau et Nao. Nao incapable de finir sa phrase, car il se perd dans des yeux qui ne lui appartiennent pas. « Soit l’hôpital… » Qu’il dit enfin alors que les mots se perdent dans le fond de sa gorge, incapable de le lâcher du regard ;

Piège fatal.

Lorsqu’ils arrivent dans la salle de bain, Hotaru prend soin de fermer la porte derrière eux. Mais il ne sait pas trop si ça servira à quelque chose. Il regarde au plafond, essaye de repérer les caméras qu’il sait pour sûr être là. Dans la salle de bain. Qu’est-ce qu’il va faire ? Comment il va expliquer ça, lui, à la production ? Il peut pas leur dire la vérité, comme il ne l’a jamais dite à Nao. Il peut pas la lui dire. Il peut pas lui avouer la vérité sur ses blessures et sur leur origines. C’est mieux comme ça. Qu’il ne l’apprenne jamais. C’est mieux qu’il ne  sache jamais d’où viennent ces plaies et qui les lui a fait. De toute  façon, celui qui les lui a fait est déjà mort. Probablement pas enterré, Hotaru ne sait jamais vraiment quelle méthode utilise Sei pour faire disparaître les morts. Mais mort, c’est sûr.
Lorsqu’il repose les yeux sur Nao, il ne le regarde pas, essaye juste de l’aider à s'asseoir sur le cabinet fermé des toilettes. Et les mains retirées du pansement, Hotaru essaye de ne pas montrer la douleur qu’il ressent. Parce que ça fait mal. Très mal. Trop mal. Il a presque du mal à supporter la douleur. Mais il retient ses expressions. Il se rend compte, avec surprise, que c’est pas pour ne pas montrer signe de faiblesse. Mais c’est pour éviter d'inquiéter Nao encore plus qu'il  ne semble déjà l’être. Le temps que Nao se retourne pour mouiller une serviette, Hotaru retire le pansement qui n'a plus aucune utilité. Il n’est pas surpris de voir que la plaie en dessous est rouverte  et que les fils au  milieu ont tous sauté.
Puis Nao dépose le tissu sur lui, et Hotaru relève les yeux sur son visage. Il n’a pas besoin de regarder ses mains pour savoir qu’il ne cache pas un poignard près à le tuer. Et pas parce qu’ils sont filmés et que ce serait stupide de sa part d’essayer. Juste parce que quelque part, il sent qu’il ne le ferait pas. Alors Hotaru continue à le regarder, continuer à l’observer. Et lorsque Nao parle, ses paroles, stupides, mettent un moment à venir jusqu’au cerveau du blessé. Et l’expression qu’il porte lui montre qu’il s’en veut. Hotaru aime pas ça. Il n’a aucune raison de s’en vouloir. Il l’a aidé. Il l’a beaucoup aidé. Il n’a rien à se reprocher.  Mais il sait pas comment mettre ses pensées en mots alors il ne le fait pas. Ses yeux trainent plus longtemps que besoin sur la lèvre prise entre les dents de Nao, et lorsqu’il s’en rend compte, il détourne les yeux. What the hell is he doing ? Il reprend la parole, en lui disant qu’il peut essayer de le recoudre. Qu’il y a le nécessaire. Probablement. Puis il lui rappelle que c’est pas parfait, mais que c’est leur seul choix. Ça ou l'hôpital. La dernière partie de l’info pourtant semble se perdre quelque part entre les lèvres de Nao et les oreilles d’Hotaru. Et Nao le regarde, et Hotaru le regarde, et ils se regardent sans vouloir, non, sans pouvoir se quitter du regard. Et Hotaru ne sait pas s’il est censé parler, ou ne rien dire. Et il sent toujours la main de Nao sur son ventre qui essuie le sang qui coule abondamment à l’aide du tissu trempé qui est maintenant aussi rouge que le pansement l’était plus tôt. “Fais comme tu peux. qu’il finit par lui dire. Bas. Si bas. Comme si le fait de parler plus haut pouvait casser quoique ce soit entre eux. Les yeux toujours flanqués dans les siens, incapable de se détourner. Puis il repense à sa gêne, à ce qui ressemblait presque à de la culpabilité. Et il peut pas. Veut pas, le laisser penser qu’il a pas fait assez. Alors il arrête le mouvement de sa main en posant la sienne dessus. “Et Nao… Les fils qui ont pété aujourd’hui, c’était pas les tiens. Mon ami les a refait après toi.”  Il se rend compte que cette phrase sonne comme si ses fils étaient vraiment pas assez bons, et c’est  pas ça, qu’il voulait dire. Alors il se reprend, les yeux toujours fixés sur ceux de Nao. “Tu m’as sauvé la vie.” qu’il finit par presque chuchoter. Le visage est presque froid, mais le regard est brûlant, lui.
Oui, il lui a sauvé la vie.
C’est ça qu’il voulait lui dire.

Il pleut des étoiles sur le toit du monde ;
Il pleut des étoiles dans tes yeux,
Alors que mon cœur chante d’un amour jamais connu.

Ses mains contre sa peau, et le cruor qui vient tâcher toute la beauté de l’épiderme sacré, celui que l’on refuse de souiller. Nao, il est misérable face à tous ces dieux, il n’est rien de plus qu’un enfant qui a refusé un destin glorieux. Le cœur trop bon, le cœur à la folie des grandeurs lorsqu’il implose de bien des aventures, mais aujourd’hui, c’est différent. Parce que le cœur s’est épris d’un amour qu’il ne pensait pas trouver, ni même contrôlé. Hotaru, ange qui ne cache qu’un démon, échoué sur la terre sale de la capitale. Blessé pour une raison qu’il ignore ( et peut-être qu’il ne devrait jamais savoir ).

L’impression de revivre ;
Alors que le cœur se serre de ces lèvres dont il voudrait s’emparer.

L’inquiétude dans sa voix, la douceur dans ses doigts alors qu’il sait qu’il n’y a qu’une solution possible. Recoudre une nouvelle fois, matériel nécessaire à disposition, pourtant les phalanges tremblent. De peur. Peur de lui refaire du mal, alors qu’il n’est rien de plus qu’un inconnu. Pourtant. Pourtant, il en voudrait tellement plus, connaître chacun de ses secrets, sans savoir pourquoi. ( Pourquoi lui ? ) Et sans un mot de plus, les mains s’activent lentement contre la blessure, la chaleur de sa peau loin de la sienne, les anciens fils retirés, blessure soignée auparavant, mais pas de ses mains. La délicatesse d’une plume lorsqu’il prend soin de tout désinfecter de nouveau avant de nettoyer. « J’y vais. » Alors que l’aiguille s’apprête de nouveau à le torturer pour quelques secondes. Des gestes plus précis que la première fois, plus soignés alors qu’il lève de temps en temps les yeux pour s’assurer que tout va bien, des grimaces et des soupirs, jamais rien de plus sur l’homme qui semble si froid, mur de glace qu’il ne parvient pourtant pas à percer. « J’ai presque terminé. »

Secondes qui paraissent éternelles, mais enfin la peau est recousue, tissu mouillé qu’il passe une nouvelle fois sur la peau pour y effacer le sang séché. Soupir qui s’extirpe de ses lèvres alors qu’il retrouve son regard, toujours dans le silence le plus total. Il n’arrive pas à s’en défaire, si intense, si sauvage et inconnu, Hotaru qui se veut indomptable, inaccessible. Mais Nao a envie de faire de lui, sa plus belle étoile. Main toujours posée sur son torse, il ne peut quitter sa chaleur alors qu’il se rapproche lentement, son visage toujours proche du sien. « Pourquoi… Tu me fais ça ? » Tentation du diable bien trop forte, Nao l’insolent qui désire bien plus que de simples paroles, et il se fiche soudainement des jeux stupides de ces derniers jours, il se fiche des règles, car ce sont ses pulpeuses qui viennent épouser les siennes, dans le plus grand des secrets. Son souffle contre sa peau, et le pourpre aux joues. Hotaru est la lune d’un soleil qui ne brille que trop fort, mais qui se laisse pourtant tenter par les ténèbres des limbes. Baiser maudit, mais il ne peut s’en défaire, il ne peut se défaire de lui.

La fin qui approche ;
Et les entrailles qui bouillonnent d’un chaos désiré.

Hotaru ne sait pas si Nao l’a entendu ou non. Il ne sait pas s’il a compris, bien intégré que sans lui, sans son intervention, il serait mort à l’heure qu’il est. Que s’il n’avait pas insisté un peu ou s’il avait laissé Hotaru tenter de rejoindre son appartement, ses colocataires et lui n’auraient plus de voisins aujourd’hui. Ou en tout cas, ce ne serait plus Hotaru. Mais s’il ne montre pas qu’il a entendu quoique ce soit, il semble pourtant s’employer à essayer de recoudre ses blessures. D’abord en défaisant les fils qui ont sauté, puis en désinfectant la plaie. Et son regard a quitté le sien, mais Hotaru l’observe toujours. Ne parvient pas à le quitter des yeux. N’y arrive pas. Ou peut-être même ne veut pas, le quitter des yeux. Il est beau. Il est magnifique. Il a quelque chose d’angélique chez lui. Comme si le ciel le lui avait envoyé, juste pour lui. Pour le protéger, pour le sauver. De la mort. Ou de sa vie. Il sait pas trop. Cherche pas à comprendre ce qu’il ressent. Même si ça lui fait peur. Ça l'effraie de ressentir tant pour quelqu’un qu’il ne connait que depuis si peu de temps. Ça l’effraie de se dire qu’une personne a réussi à gagner sa confiance si facilement. Même ses plus proches amis n’y étaient pas parvenus. Même Sei a mis plus longtemps que ça, à gagner sa confiance. Et si y’a bien une personne aujourd’hui, à qui il confierait sa vie, c’est Sei. Il n’a pas envie de penser à la possibilité de confier sa vie au garçon face à lui. Il n’a pas envie de se demander s’il le ferait. Il a peur de déjà connaître la réponse. Alors que ça fait si peu longtemps qu’ils se connaissent, et qu’ils ne se sont au fond vu que deux trois sans compter les rapides entrevues dans le couloir de leur étage. Alors Hotaru arrête d’y penser. Et par principe, décide que non, il ne lui confierait pas sa vie.
Pas encore.
Il parle, Nao. Comme pour le prévenir de la douleur à venir. Mais Hotaru, s’il l’entend, ne prend que peu l’avertissement au sérieux. Il sait que ça va faire mal. Et pourtant, il aimerait qu’il le répète, cet avertissement, Nao. Juste pour qu’il parle. Parce qu’il sait que s’il parle, sa voix le distraira assez de la douleur pour qu’il ne ressente rien. Sauf que Nao se tait. Et que malgré l’avertissement qu’il a laissé couler, oui, l’aiguille qui perce la peau lui fait mal. Mais Hotaru ne lâche rien. Pas un bruit. Pas un mot. Juste ses lèvres qu’il mord, serre, triture pour s’empêcher de crier. Parfois, il laisse passer ce qui aurait pu être un cri, mais sa bouche étant scellée, ça finit comme un esprit enfermé dans sa gorge. Puis lorsqu’il respire, prend de l’air, ouvre la bouche, il lâche des soupirs de douleur. Quelques-uns. Ils se comptent sur les doigts d’une main. Même le plus sans cœur des humains ressent la douleur. Hotaru est fasciné par cette maladie qui empêche quiconque naît avec de ressentir la douleur. Et il les plaint, ces personnes. Parce que grâce à la douleur qu’il ressent, Hotaru peut aussi déterminer que Nao prend bien soin à lui faire le moins de mal possible. Comme un vulgaire plombier qui chercherait à devenir forgeron. Comme un inconnu qui chercherait à devenir chirurgien. Et Hotaru a du mal à discerner exactement à quel point il lui en est reconnaissant. Puis Nao parle de nouveau. Lui annonce qu’il a bientôt terminé. Hotaru pourrait regarder son oeuvre, observer son torse pour regarder où il en est exactement et ce qui lui reste à faire. Mais ce n’est pas intéressant. Nao l’est. Alors il continue d’observer la concentration sur son visage lorsqu’il travaille avec l’aiguille et le fil. Puis lorsqu’il prend le tissu imbibé d’eau et qu’il le dépose sur le travail qu’il vient de terminer. Tout ce temps, Hotaru ne fait que ressentir ce qu’il fait. Pas qu’il ne voit aucun de ses gestes, ne surveille pas. Observe juste la sincérité dans les yeux et dans l’expression générale de la personne en face de lui.
Puis Hotaru l’entend soupirer. Et il a cette envie d’enregistrer le son et de le répéter, encore et encore. Dans différentes situations. Et il a presque envie de détourner les yeux et de se mettre une claque pour n’avoir ne serait-ce que pensé à ça. Sauf que Nao le prend de court. Et qu’il remonte son visage vers le sien. Et plonge ses yeux dans les siens. Et Hotaru ne peut plus les détourner. C’est hors de question. Le marron foncé qui l’attire comme du chocolat attirerait un chien inconscient des dangers que ça représente. Même si dans leur cas, ce n’est pas Nao le danger. Loin de là.
Il sent la présence de l’homme, il sent sa main sur son torse, qu’il n’a toujours pas retirée. Et c’est pas la même chose que lorsqu’il le soigne. C’est différent. C’est plus intime. Le moment n’est plus au sang, aux aiguilles et aux fils. C’est un moment à eux. Comme perdu au milieu des atrocités du monde dans lequel vit Hotaru.
Un oasis.
Il se rapproche, il le sent, il le voit. Le marron qui se rapproche de lui. Et la question qu’il entend, mais qu’il ne comprend pas. Quelle question idiote. Alors qu’il devrait être celui qui la pose. Lui, n’a rien fait. Nao est le tentateur.
Le sauveur.
Son souffle sur ses lippes. Et Hotaru n’a pas le temps de se rendre compte de ce que ça implique. La proximité de leurs deux paires de lèvres, comme ça. Il n’a pas le temps de comprendre ce qu’il se passe, que les lèvres de Nao sont sur les siennes. Et Hotaru laisse faire. Une seconde. Deux. Avant de réaliser. C’est différent. Tout est différent.
Hotaru est habitué aux baisers. Aux baisers des gens avec qui il passe des nuits sans lendemain. Des nuits classées sans suite. Mais celui-là ? C’est différent. Parce que ça n’attend rien. C’est juste un baiser. Et la réalisation étrange le fait reculer. Quelques centimètres, assez pour mettre de la distance et rompre le contact. Pas assez pour rompre l’ambiance. Il fronce les sourcils, et son cerveau se met en marche.
Mais il ne suffit que d’un regard. Un. En direction de Nao. Un regard sur le chocolat noir dans ses yeux. Un regard sur les lèvres qu’il vient de goûter pour que son cerveau s'arrête.
Arrête de réfléchir.
Alors il pose sa main sur la nuque de Nao et le rapproche de lui, joignant leurs lèvres de nouveau. Et Hotaru ne pense plus, ferme les yeux, se laisse aller aux émotions, aux sentiments. Des mots jusqu’ici pourtant si étrangers à son vocabulaire.
À sa vie.
Nao. Son ange. Son oasis.