des coups de pieds dans un vieux ballon de foot, des passes à ton pote, de l'autre côté du champ, le ballon se coince entre les herbes, c'est nul, c'est pourri. tu voudrais jouer sur un vrai stade avec l'herbe tondue au millimètre près, mais dans ta campagne y a quedalle qui s'en rapproche. vas-y, envoie ! il l'envoie d'un pied rageur vers ta grosse tête. t'esquive au dernier moment. le con, il a faillit te tuer. hé mais gros connard, j'tai dit envoie c'était pas dans la tête, hein ! grimace, tu tournes les talons, tu cours chercher le ballon. klaxon. impact. ta tête s'écrase dans le pare-brise de la voiture. tes côtes sont broyées par le pare-choc. t'entends un cri, de loin, comme dans un autre monde. le temps que ton corps retombe mollement sur le bitume, tu perds connaissance.
t'avances, t'es dans ta chambre, tu peux pas parler. tu vois ta mère pleurer. t'aimerais lui demander pourquoi, qu'est-ce que t'as encore fait pour la faire chialer comme une merde. parce que toi, t'en fais des conneries, tu le sais qu'elle est pas bien fière de toi. elle aimerait que tu travailles mieux à l'école, elle aimerait que t'arrêtes de te battre avec ce connard de Yusuke. elle aimerait que tu lui cueille des fleurs ou d'autres conneries, des trucs de filles comme ça. toi, t'es un gros dur, les filles tout ce que t'aimes, c'est soulever leur jupe en faisant semblant qu'y a un coup de vent. ça, c'est drôle. ça, ça t'amuse. la scène disparaît, effacée d'un coup d'éponge.
tu te lèves. t'es dans une chambre d'hôpital, t'as des tubes partout mais t'arraches tout. t'es désorienté. t'es où ? t'es où ? t'es où ? y a un echo dans ta tête, le monde semble tourner, y a ta mère mais elle te calcule pas. t'essaie de crier, y a qu'un gargouillis qui sort de ta gorge. c'est quoi cette merde ? tu veux marcher mais tu t'effondre. et ta mère, qui garde les yeux fixés au mur, comme si t'existait pas. il se passe quoi ? tu restes sur le sol froid, incapable de bouger, pendant des heures, des jours, des mois, des années. tu sais plus. nouveau coup d'éponge. comme un millier d'autres après ça.
tu te réveilles. t'es fatigué. bordel ce que t'es fatigué. t'aimerais mourir. t'en peux plus de ce scénario. toujours le même. y a quelques différences que tu notes à chaque fois. une voiture. parfois rouge. parfois jaune. du sang, du sang partout, un cri lointain. puis la chambre. puis l'hôpital. et des fois y a l'école aussi. t'as plus la notion du temps. tu sais seulement que ça se succède, les scènes. que ça s'arrête jamais. t'as beau appeler ta mère aussi fort que tu peux. t'as beau secouer ton père, y a rien qui marche. t'es coincé. sur le fil. un mort en sursis. t'es à l'hôpital cette fois. mais tu bouges pas. t'es pas sûr de pouvoir. et puis, à quoi bon, si c'est pour te retrouver sur le sol gelé pendant des années lumières, t'es mieux sur le lit. t'observe ta mère. elle est plongée dans un livre. cette fois, c'est ça la différence. le livre. elle relève les yeux, tu prends une douche glacée. elle te regarde. elle te regarde jamais. elle se lève, le livre tombe par terre. elle hurle. frénésie de docteurs et d'infirmière. t'es un miracle. t'es vivant. tu les crois pas. quand la scène s'effacera tu veux pas être déçu.
et il faut tout réapprendre. parler. manger. bouger. marcher. penser. la main de ta mère ne lâche pas la tienne. en fait, ta mère te lâche pas tout court. elle est tout le temps sur ton dos. t'en as ras le cul mais elle t'a attendu pendant dix ans, elle dit. alors faut bien que tu lui rende la monnaie de sa pièce. tu réapprends à utiliser plein de gadgets. un téléphone flambant neuf, une playstation, tes parents se ruinent pour que tu sois heureux. ton histoire fait la une des journaux et ton nombre de followers sur les réseaux sociaux explose. t'es une star, une curiosité, on veut tout savoir de toi. t'es "coma boy" on entend même parler de toi à l'étranger. tu fais des lives instagram, tes sourires paient, des millions de heart sur chacune de tes photos, les filles disent que t'es beau, mais tu t'en fous des filles. les mecs aussi disent que t'es beau, ils sont tarés, tu te dit. on t'avais dit que ça prendrait du temps, la rééducation, tu pensais quand même pas être coincé là pendant un an. t'as réussi à sortir, enfin. à force d'acharnement. t'aurais un suivi toute ta vie, t'aurais des médocs à prendre si ça va pas. il te resterait des vertiges, la fatigue, des étourdissement, des pertes de conscience, des crises d'épilepsie, des difficultés de concentration, des cauchemars et de l'insomnie. voire pire. enfin c'est ce qu'ils disaient.
ta mère te gonfle. ta mère te G O N F L E. mais tu msaoule, tu msaouuuuuule. laisse moi tranquille. jme casse. tu l'auras cherché. jme tire. et tu te barres. vraiment. tu fais un live insta sur le chemin jusqu'à la gare. t'en a ras le cul que ta mère te traite comme un gosse, un malade, un mec qui va se briser dès qu'il fait un truc. t'es un mec, t'es fort, t'es puissant. tu vas tout déchirer mais ta place c'est pas ici. dans ta campagne, à vivre dans ta chambre d'ado avec ta mère. ils disent que t'as vingt-cinq ans maintenant, donc c'est le moment de jouer à l'adulte. t'as toujours voulu partir à tokyo quand t'aurais dix-huit ans. t'es déjà en retard. ça commence bien.
calypsie
yo c mon deuxième compte !