hangover.

Si son père le voyait en ce moment, il aurait eu droit à une raclée. Heureusement, le vieil homme ne savait rien de cette vie cachée. La teinture dans ses cheveux avait presque toute disparue déjà. Son eyeliner avait tenu bon, mais ses lentilles avaient rencontré une poubelle, les yeux fatigués et irrités ne pouvant plus les supporter. Il avait retrouvé son mètre soixante-six habituel, tenant ses bottes d’une main et posant ses pieds protégés uniquement des chaussette sur le sol. Une petite énergumène déboulant dans les rues de la ville, sous les regards fuyants des habitants de Tokyo, bien trop poli. Une peau pâle, trop pâle, comme signe annonciateur d’un haut-le-coeur qui tardait à venir. Des pas décidés, bien que instables, un chemin sinueux entre les corps qui allaient à sens inverse. Le monde entier semblait tanguer autour de lui. Une ivresse à la fois littérale et figurative. Le plaisir de se perdre et de s’oublier, le plaisir de voir le monde comme une toute nouvelle réalité, mais l’enfer du mal de tête et de l’incessante envie de vomir.

Une envie de vomir qui le force à s’arrêter en plein chemin du retour, s’appuyant de sa main libre à un mur de bâtiment proche. Tentant de calculer les pas restant jusqu’à la maison, supposant l’heure et planifiant l’escalade dans l’arbre près de la fenêtre de sa chambre. Quelque chose lui disait que cette échelle de fortune allait lui faire du tort, ce soir. Il ferme les yeux, respirant l’air frais de la nuit dans ses poumons.Exhalant une haleine à l’odeur à la fois sucrée et amère de cocktails bu à l’excès. Allez petit oiseau, tu peux battre des ailes jusqu’à ton lit. Rouvrant les yeux, le monde semble aussitôt chavirer autour de lui. Il laisse tomber les chaussures au sol, plaquant une main sur ses lèvres, mais rien n’y fait. Il se penche vers l’avant s’accroupissant légèrement pour se rapprocher du sol et régurgite tout ce qu’il a avaler dans les dernières heures.

Loin d’être son moment le plus élégant. Il essuie sa bouche du revers de la manche, grimaçant au goût âcre sur sa langue. Ce n’est qu’à ce moment que ses yeux remarque enfin, alors que le monde a enfin repris sa place habituel et son immobilité, les chaussures qui se trouvent tout juste devant lui et qu’il a pratiquement ruiné à cause d’une soirée arrosée.  Lentement, Haru redresse la tête vers la victime de sa sortie trop alcoolisée, profitant du fait qu’il était déjà penché pour s’incliner aussitôt et s’excuser. « Pardon! Je suis désolé, je crois que j’ai trop… trop bu… »

Il ne s’y attendait pas du tout. De faire une rencontre comme ça, en pleine nuit. De se vider l’estomac sur un inconnu. Il s’en voulait un peu quand même, bien plus qu’il n’avait honte de la situation; l'inhibition provoqué par les substances prises avait diminué mais n’avait pas entièrement disparue encore, lui permettant de ne pas trop se sentir mal de perdre ainsi de la crédibilité. Lentement, il se redresse. Ses pupilles se posant sur le visage de sa malheureuse victime qui souhaitait probablement rentrer sans plus de tragédies. Qui avait tout de même la gentillesse de lui demander si il se sentait mieux, ce à quoi Haru hochait doucement la tête en guise de réponse. Sa peau gardait un fond de teinte maladive, mais ses joues reprenaient déjà un peu de leur couleur habituelle sous la faible lueur des lampadaires. Le commentaire suivant, presque infantilisant, l’avait poussé à jeter un regard à ses vêtements avant d’afficher un air à la fois écoeuré et gêné, un drôle de mélange qui fût surtout une histoire de grimace, sourcils froncés et détournement de tête fuyant, le tout agrémenté d’une exclamation de dégoût qu’il n’arrivait pas à retenir. Il devait vraiment faire une piètre mauvaise impression en ce moment, le timing pour les nouvelles rencontres étant tombé au bien mauvais moment.

« Chez moi?.. » Il essaye de visualiser le chemin, fronçant le nez, réfléchissant. Dur de s'imaginer le trajet avec cette odeur insupportable, mais il en avait encore pour un moment à déambuler comme  ça dans les rues, sans compter l’escalade qui l’attendait une fois arrivé. Il se penchait tout juste pour reprendre ses chaussures quand l’autre mentionnait un endroit qui le faisait presque aussitôt rêvé. « Des bains? » Mais quelle bonne idée! Aussitôt les mots avaient traversé les lèvres de l’inconnu que le jeune homme décidait qu’il devait absolument s’y rendre maintenant, tout de suite, et rien d’autre ne comptait plus que ça, même pas ses vêtements ruinés et son honneur partie en fumée. « Il y en a encore ouvert? Tu sais par où? Tu peux m’y amener? » Dès que Haru avait une idée en tête, qu’on attisait cet intérêt si facilement enflammé, c’était presque une nouvelle obsession, décuplé par l’euphorie de sa soirée passée à danser et à avaler tout ce qu’on lui mettait entre les doigts. Et il ne se sentirait pas satisfait s’il ne pouvait pas finir cette soirée dans une eau bien chaude, à se détendre tranquillement - et surtout se débarrasser de l’odeur dégoutante qui allait s’imprégner à ses vêtements - avant de devoir faire le reste du chemin jusqu’à la maison.

À peine a-t-il le temps d’ouvrir la bouche à nouveau que l’inconnu prends ses chaussures pour lui donner un coup de main. Le jeune étudiant pensait encore au bain, sur le point de s’émerveiller face à la nouvelle information. Les bains lui appartenaient? Aussitôt, Haru tente de définir silencieusement son âge. Il n’avait pas l’air très vieux. Lui qui s’imaginait toujours les détenteurs d’endroit du genre avoir les cheveux blancs et des rides, il semblait surpris que son vis-à-vis soit à peine plus vieux que lui. « ...Merci. » marmonne-t-il, peut-être un peu en retard suite à la question de l‘autre, tout concentré qu’il était dans sa vision de tenancier de bains.  Il s’empresse de le suivre, faisant bien attention de ne pas se mettre les pieds directement dans la flaque nauséabonde, lui jetant un regard à la question. « Soirée intéressante surtout. J’ai un peu abusé. »  avoue-t-il d’une voix moqueuse cette fois, puis hochant la tête lorsque l’autre parle de sa chance. Quelque chose que le jeune homme avait rarement, ça. La chance. Elle n’était pas sa grande amie, mais il devait bien se dire que, pour une fois, elle était de son côté. « Je suis désolé pour tes chaussures. » dit-il dans un élan de culpabilité, alors qu’il marche à ses côtés.

Sento. Pour avoir déjà passer par ce chemin quelques fois, Haru était surpris de ne jamais avoir remarqué cet endroit. Peut-être parce qu’on ne l’avait jamais amené à des bains publiques. Son père possédait un tatouage qui était mal vu dans ce genre d’endroit normalement, et il n’avait jamais osé y aller en solitaire, de peur de ne pas savoir comment agir. Il entre à la suite de l’inconnu - les présentations tardaient, mais elles étaient bien le dernier des soucis de Haru en ce moment - retenant la porte d’un coup de hanche pour éviter d’y toucher et d’y mettre … bref, inutile de décrire la suite. Suivant des yeux l’autre qui posait ses bottes, ses pupilles étaient ensuite attirées par chaque chose et chaque petit détail de ce nouvel environnement. La décoration. Le comptoir. L’ambiance. La paix surtout qui y régnait. On était loin de l’ambiance qu’il avait quitté une demi-heure plus tôt. Ici, il entendait presque son propre coeur battre. C’était si calme et reposant.

Les instructions sont données et à nouveau le raver répond d’un simple mouvement de tête, mais cette fois suivi d’un nouveau remerciement. Après tout, cet homme ne lui devait rien et pourtant il l’avait amené ici. C’était gentil de sa part. Il aurait pu le laisser continuer son chemin dans ses vêtements sales et même lui demander de l’argent pour payer le nettoyage de ses chaussures. Chose délicate à faire lorsque le plus jeune ne traîne pas son portefeuille avec lui. Il pourrait toujours lui refiler son numéro de portable, sinon. Après tout, chaque choses avait son prix, il n’attendait que d’entendre celui que lui donnerait l’homme pour cette gentillesse inespérée, surtout alors qu’il lui offre des vêtements de rechange en plus.

Il se faufile donc dans la direction donnée et s’exécute comme expliqué. Retirant ses vêtements avec un gémissement à la fois de déception et de dégoût avant de les jeter dans un des paniers. Il aimait ces vêtements. Il aurait dû être prudent ce soir. Mais dès que quelque chose était glissé dans le creux de sa main, il l’avalait aussitôt. Pressé d’en ressentir les effets. Pressé d’oublier tout et de profiter d’une bonne soirée. Il en avait trop fait. Il allait rarement trop loin, mais cette fois il avait dépassé les limites. Il attrape une serviette, la glissant sur ses épaules et couvrant son corps avec un léger frisson, tout comme l’autre fait son entré. Un sourire - le genre qui n’apparaissent réellement que lorsqu’il a consommé - nait sur ses lèvres, alors qu’il se tourne vers lui. « Peut-être bien. Les bains, pour moi, ça se fait à la maison, pas en publique.  Je suis pas très au courant du fonctionnement. Tu peux m’expliquer un peu? »  Il devait avoir l’air un peu niais, en tant que pur japonais. Un peu naïf aussi, d’avoir suivi un inconnu sans aucune crainte. Et surtout se retrouver vêtu d’une simple serviette devant lui.

Un petit sourire incertain flotte sur son visage. S’habituer à ce genre de choses? Il n’avait jamais été du genre à se cacher, cependant il n’était pas sur d’aimer se laisser mariner dans une chaude devant n’importe quel inconnu. Il appréciait bien plus la solitude. Cette solitude dans laquelle il s’enfermait un peu par lui-même. Le jeune étudiant n’avait jamais été très populaire auprès des autres. Son attitude froide et distante chassait bien vite les potentiels amis. Il venait tout juste de se lier d’amitié avec quelqu'un de son école - enfin, il espérait que c’était de l’amitié - et cette histoire avait mal commencée avant de bien se terminer heureusement. « Je compte sur toi pour rendre l’expérience inoubliable. » dit-il sur un ton moqueur, l’air amusé avant que l’autre parte puis revienne de nouveau avec du savon. Son commentaire suivant réussit même à fait rire Haru, doucement, avant qu’il ne lui emboîte le pas.

Il écoute poliment les instructions qui réussissent lentement à faire leur chemin dans son cerveau encore un peu perdu dans la brume. Quand il dit qu’il avait abusé, il n’exagérait pas. Il lui arrivait d’en oublier des morceaux de ces soirées trop arrosées, mais en ce moment il avait déjà du mal à se souvenir ce qu’il avait glissé entre ses lèvres une heure plus tôt. Souriant toujours - un vrai record pour le fils de yakuza - il hoche doucement la tête avant de laisser glisser la serviette de ses épaules et de s’asseoir pour se laver. Probablement que s’il avait été sobre, il aurait eu une petite hésitation avant de se laisser ainsi à découvert devant un autre, mais en ce moment, ces règles de pudeur avait fondues. alors qu’il dévoilait son corps pâle, et, bien qu’au premier coup d’oeil il semblait presque avoir la peau sur les os, il y avait tout de même les lignes de quelques muscles visibles.

Il se met donc à la tâche de se laver, ce qui n’était pas de refus. Il avait été malade, ce qui était probablement la raison évidente, mais après avoir danser, s’être retrouvé contre d’autres corps bougeant autour de lui et surtout portant des vêtements qui n’avaient rien de confortables, il y avait une mince couche de sueur qui s’était formée sur sa peau et dont il devait bien se débarrasser. Son regard retourne se poser sur le garçon près de lui lorsqu’il lui parle de nouveau. Sa curiosité semble bien amuser Haru, qui semble pensif quelques secondes avant de répondre presque sur le ton de la confidence. « Beaucoup de musique, de trucs avalés et de gens rencontrés. Il y a des choses fascinantes à voir lorsque tu sais où aller. Il ne faut pas avoir peur de se salir cependant. » répond-t-il, toujours avec cet air amusé. « J’espère que je ne t’empêches pas de faire quelque chose? J’avais pas prévu d’être malade sur quelqu’un ce soir, mais j’apprécie grandement ton aide. »