((satoru)) le mec de la video

Satoru s’était rendu à Shibuya pour donner un cours de guitare à l’un de ses élèves, puis il avait déambulé un peu dans les rues, guitare sur le dos, s’imprégnant de l’ambiance du quartier. Parfois, ça l’inspirait pour de nouvelles chansons. Et puis, il aimait l’atmosphère qui y régnait, tout simplement. Il s’arrêta aussi dans un magasin de musique pour racheter des cordes pour sa guitare. Ensuite, il prit la direction de l’arrêt de bus le plus proche pour rentrer. Le prochain n’arriverait pas tout de suite, alors il décida de s’assoir sur le banc en attendant, sans vraiment prêter attention à la personne juste à côté. En fait, il n’avait même pas réalisé qu’il restait de la place plus loin. Il pianotait sur son portable, répondant à des messages plus ou moins idiots de sa bande de potes, souriant comme un con à leurs bêtises. Finalement, ce fut une voix masculine qui lui fit lever la tête. Hein ? Il croisa le regard d’un mec qui semblait énervé et qui venait de tenir des propos incompréhensibles pour Satoru. Pourquoi lui disait-il ça ? Le musicien fronça les sourcils. C’était à lui qu’il s’adressait ? Manifestement, oui, puisqu’il était le seul à côté de lui. « Pardon ? » L’incompréhension pouvait aisément se lire sur son visage. Contrairement à la plupart des personnes que l’autre avait croisées aujourd’hui, Satoru n’avait pas vu la fameuse vidéo. Il passait peu de temps sur Internet et encore moins pour regarder des conneries comme des vidéos virales ou autres. Il utilisait surtout le net pour la musique et pour rester en contact avec certaines personnes.

« Navré de vous avoir importuné par ma simple présence. Mais soyez sympa, ne me pissez pas dessus. J’ai déjà pris une douche, ce matin. » Il tentait bêtement de plaisanter, espérant ainsi que l’autre se détende un peu. Mais peut-être était-il l’une de ces personnes qui ne supportaient pas la présence d’autrui près de lui ? Ou la présence d’inconnus. Dans ce cas, il était un peu embêté à Tokyo, non ? Dans tous les cas, Satoru ne comprenait pas ce qui se passait et encore moins lorsqu’il vit un groupe de trois jeunes pointer l’autre homme du doigt en ricanant. Ce mec était-il connu pour quelque chose en particulier ? Et à en juger les réactions, ce ne devait pas être glorieux. « Qu’est-ce qui se passe ici ? » Il se souvenait de ce que ça faisait, d’avoir des gens qui vous reconnaissaient à tous les coins de rue, qui vous stalkaient limite, qui vous suivaient et qui insistaient pour avoir une photo ou un autographe. Mais là…la situation semblait différente puisque les gens semblaient se moquer de cet inconnu. « Dégagez, y a rien à voir ! » Il soupira, puis se tourna vers l’autre homme. « Vous avez fait quoi pour attirer l’attention comme ça ? » Peut-être l’autre l’enverrait-il juste chier, mais peu importe. « Un conseil. Si vous voulez passer incognito, portez un masque. » L’autre n’avait probablement pas besoin de ce genre de conseil à la noix, mais soit.  

Satoru n’avait absolument aucune idée de ce qui se passait ni de qui était ce type qui semblait attirer toute l’attention sur lui et ce, bien malgré lui. D’autant plus que les quelques réactions qu’il avait pu observer semblaient l’air tout sauf positives. Il avait dû recevoir pas mal de réflexions tout au long de la journée pour lui avoir aboyé dessus de la sorte, alors qu’il n’avait absolument rien fait sauf s’assoir à côté de lui sans vraiment y prêter attention. N’ayant pas supporté l’attitude de la bande de jeunes, il leur avait demandé de s’en aller et, contre toute attente, ils avaient obtempéré. Tant mieux. Personne n’avait envie d’un esclandre en public. Finalement, l’inconnu se tourna vers lui pour le remercier de son intervention. Tiens. Il semblait bien plus calme, tout à coup. Bien moins enclin à sauter sur le premier qui bougeait pour lui arracher les yeux. Nul doute que ce pauvre homme avait passé une journée de merde. Satoru hocha la tête en guise de réponse. « De rien. Content d’avoir pu éviter un bain de sang. » Sans doute exagérait-il, mais ça, ce n’était pas nouveau. Il préférait toujours sortir une réplique un peu débile pour essayer de détendre l’atmosphère. Il ignorait encore qu’il avait quelques points communs avec son interlocuteur. Notamment le fait d’être trop gentil. C’était peut-être aussi pour ça qu’il était intervenu, en partie. Et puis, parce qu’il n’aimait pas les petits cons, tout simplement. Ceux qui se croyaient tout permis, ceux qui croyaient que leur était dû. C’était ridicule. Ce n’était pas comme ça qu’ils se feraient respecter, ou alors juste à travers la peur et l’intimidation.

Le jeune homme finit par s’excuser et Satoru lui adressa un léger sourire. « Excuses acceptées. On a tous nos journées pourries. » Par contre, il était réellement curieux de savoir de quoi il s’agissait, de savoir ce qui avait déclenché tout ça. « Vous croyez ? J’ai pourtant envie de savoir, maintenant. Est-ce que je rate quelque chose ? » Peut-être que oui, peut-être que non. Pour l’heure, il ne pouvait pas le savoir et il était bien loin de se douter qu’il était en train de parler à un phénomène du net. De toute façon, ces choses-là n’avaient pas vraiment d’importance pour lui.
Son interlocuteur se mit à le regarder de plus près, à détailler ses traits, ce qui mit Satoru un peu mal à l’aise. Et puis, il posa la question tant redoutée. Oui, redoutée. Car le chanteur espérait toujours bêtement qu’on ne le reconnaisse plus, qu’on l’ait oublié au bout de toutes ces années. Néanmoins, ce n’était pas toujours négatif non plus. Rares étaient les personnes qui se comportaient comme de vrais fans hystériques à présent. La plupart avaient grandi, de toute façon.
« Je suppose que c’est moi, oui. » Il se passa une main dans la nuque, légèrement gêné, surtout lorsque le jeune homme mentionna sa mère. Non, ça ne le rajeunissait pas, tout ça ! « Était ? Je suppose qu’elle est passée à autre chose ? » Il ne se doutait pas qu’il venait de mettre les pieds dans le plat, mais comment aurait-il pu savoir ? « Et vous êtes… ? » Après tout, l’autre connaissait son nom, mais pas l’inverse. Où était la justice ? Il se retint d’ailleurs de rajouter une vanne pourrie à souhait. Ce ne serait probablement pas une bonne idée du tout, vu les circonstances.

Son interlocuteur avait beau dire que Satoru n’avait probablement pas envie de savoir de quoi il s’agissait, plus il disait ça et plus Satoru avait justement envie de savoir. La curiosité, tout ça. Il savait au moins que l’autre avait fait quelque chose en étant ivre, sans doute quelque chose dont il avait vraiment honte à présent. Une seconde…Vu la première chose qu’il lui avait dite…n’avait-il pas simplement été filmé en pissant sur quelqu’un, totalement bourré ? Elémentaire, mon cher Watson ! « Oh vous savez, on fait tous des conneries, surtout quand on est ivre. Ne vous en faites pas, ils finiront par oublier. Quelqu’un d’autre prendra bientôt la relève. » Il se pencha légèrement vers lui et baissa la voix. « De toute façon, je pense avoir deviné. » Il haussa les épaules, signifiant qu’il s’en fichait bien. « J’ai moi-même eu droit à des vidéos et autres trucs pas très flatteurs. On s’y fait. Même si je ne vous souhaite pas de réitérer l’expérience. » Il lui adressa un petit sourire, puis l’écouta parler de sa mère qui, apparemment, avait été fan de lui. Hélas, il apprit aussi que cette pauvre femme n’était plus de ce monde. « Je… » Il allait lui sortir ce que tout le monde disait dans ce cas-là. Qu’il était désolé, qu’il ne savait pas et d’autres conneries du genre, mais son interlocuteur l’interrompit en lui assurant ne plus avoir besoin de condoléances ou autres.

« Très bien. Je ne dirai rien dans ce cas. J’imagine qu’au bout d’un moment, on en a marre d’entendre ce genre de choses, même des années plus tard. Mais vous savez quoi ? Si jamais elle nous voit en ce moment, j’imagine qu’elle doit être ravie. » Il n’en savait rien. Il ne savait même pas s’il croyait à ces choses-là, mais il avait tenu à dire quelque chose, même si c’était idiot, même si ça ressemblait surtout à une connerie. « En tout cas, je suis navré qu’elle ne se soit jamais remise de ma retraite. » Oui, il l’était. Bien sûr, en arrêtant tout, il savait qu’il allait décevoir bon nombre de personnes, mais il savait aussi qu’il avait fait le bon choix. « Enchanté, Giichi. » Il inclina légèrement la tête en guise de salut. C’était toujours plus agréable de pouvoir mettre un nom sur un nouveau visage. Et puis, le jeune homme finit par lui poser la question que tout le monde lui posait. Satoru haussa les épaules. « Tout n’est jamais aussi rose qu’on le pense. Une fois que les projecteurs s’éteignent, il est facile de sombrer. » Il ne comptait toutefois pas entrer dans les détails car ça ne regardait que lui. « Je me sentais prisonnier de tout ça. Il a fallu que je me libère, pour mon propre bien. » C’était tout de même assez étrange de parler de ça à quelqu’un qu’il venait juste de rencontrer, alors qu’il ne s’était même pas confié à ses plus proches amis. Sa bande d’amis n’était même pas au courant de son passé ou alors, s’ils l’étaient, ils ne l’avaient jamais évoqué.

La mamie qui s’était installée à côté d’eux fit tomber son portefeuille et Satoru se leva aussitôt pour le ramasser, mais à peine eut-il mis la main sur l’objet en question qu’il sentit quelque chose d’assez lourd s’abattre sur son crâne. « Aïe ! » Il porta la main à sa tête et leva les yeux juste à temps pour voir le sac de la mamie s’abattre une nouvelle fois sur lui alors qu’elle le traitait de voleur. Sérieusement ? « Calmez-vous ! Je voulais juste ramasser votre portefeuille et vous le rendre… » La mamie n’était manifestement pas dans un bon jour puisqu’elle ne semblait rien vouloir entendre et qu’elle menaçait même d’appeler la police. Satoru poussa un soupir et alla se rassoir en se frottant la tête. « J’ai l’air louche ou quoi ? » Et puis, il se mit à rire comme un idiot, tant la situation était ridicule. Encore plus ridicule…le fait qu’il n’ait même pas capté que son bus était arrivé. Il s’en rendit compte que lorsque les portes se refermèrent, avec la mamie dedans, évidemment. « Ah ! C’était mon bus ! » Il afficha un petit air dépité avant de finalement hausser les épaules. Il attendrait le prochain, tout simplement. « Vous allez où, au fait ? »  

C’était plutôt agréable de discuter de la sorte, même si Satoru ressentait tout de même un peu de peine pour ce jeune homme concernant sa mère. Mais on n’y pouvait rien, c’était la vie. « Eh bien, merci de l’avoir fait ! J’aime discuter avec les gens, ça tombe bien. Même si vous avez failli m’envoyer balader ! » Il lâcha un petit rire. Ce n’était certainement pas une rencontre très commune et une rencontre dont il se souviendrait sans doute pendant un moment. Il était toujours curieux concernant cette fameuse vidéo, mais il ne se voyait pas insister non plus, puisque son interlocuteur semblait en être tout sauf fier. Et il savait parfaitement ce qu’on ressentait dans ces moments-là. Non, mieux valait laisser couler.
Et puis, la malchance sembla encore s’abattre sur Satoru puisqu’il se fit frapper par une mamie, alors qu’il avait juste ramassé son portefeuille. La réaction de Giichi le surprit tout de même. Il n’avait pas peur de répondre à ses aînés. Satoru ne le faisait pas en général, respectant la hiérarchie et tout ce qui allait avec, même si certaines personnes ne méritaient certainement pas le respect. Dans tous les cas, l’air ahuri de la mamie en valait le coup, c’était certain. Le chanteur ne put s’empêcher d’esquisser un sourire qu’il s’efforça toutefois de masquer, ne voulant pas en rajouter une couche avec cette mémé. « Eh bien, vous avez peur de rien ! Elle aurait pu vous frapper aussi ! » Il préférait prendre ça à la rigolade. S’énerver pour ça ne servirait à rien du tout.

Satoru continua à plaisanter, demandant à son interlocuteur s’il avait l’air louche. « Ahaha, merci de me rassurer ! Mais j’avoue que c’est la première fois que ça m’arrive. Je crois. » Il s’en serait souvenu, sinon ! Et avec tout ça, il avait loupé son bus. C’était bien sa veine. Il poussa un petit soupir avant de demander à Giichi où il allait. « Vraiment ? Je vais là-bas aussi. J’y habite. » Quel hasard ! « Vous travaillez où, si ce n’est pas indiscret ? » Parce que du coup, ça l’intéressait vraiment ! Peut-être aurait-il la chance de recroiser le jeune homme dans son quartier, de temps en temps. Il ne se doutait évidemment pas encore qu’il allait se retrouver dans la même maison que lui pendant plusieurs semaines. Non, à ce moment précis, il n’imaginait même pas participer à une téléréalité. Comme quoi, les choses pouvaient changer en quelques semaines. « Donc non, je ne suis pas pressé puisque je rentre chez moi. J’ai juste hâte de retrouver mon chien ! » Ah, Mochi. L’amour de sa vie, comme il aimait l’appeler. Il était totalement gaga de ce chien, sans doute beaucoup trop, même. « Vous savez quoi ? Je vous invite à partager un taxi avec moi. Je pense que ça ira plus vite que d’attendre le prochain bus, non ? » Il aimait bien rester là à papoter, mais Giichi avait l’air d’être plutôt pressé, alors autant lui rendre service, non ?

Satoru afficha un petit air surpris en apprenant que Giichi tenait un café et un café qu’il connaissait. Du moins, de vue. Il était en effet déjà passé devant, sans pour autant y entrer. Il ne savait pas trop pourquoi, d’ailleurs. Peut-être parce qu’il avait ses habitudes. « Oh, vraiment ? Oui, je vois ! Je l’ai déjà vu ! » Il accepta la carte tendue par le jeune homme et lui donna la sienne en échange. Question de politesse. Et de pub personnelle aussi. Un peu. « Et voici ma carte ! Si jamais vous avez envie de prendre des cours de guitare ou de piano un jour, n’hésitez pas ! » Il ne manquait pas d’élèves, mais en compter de nouveaux était toujours agréable.
Quoiqu’il en soit, il finit par proposer au jeune homme de partager un taxi plutôt que d’attendre le prochain bus. Le refus de Giichi ne le surprit pas vraiment, mais Satoru croisa démonstrativement les bras. « Quelle peine ? Au contraire, c’est plus agréable que le bus, non ? Pas de mamies qui vous frappent, pas de mômes qui pleurent ou qui gueulent… » Bonjour, les clichés. Mais c’était souvent comme ça, malheureusement. Les aléas des transports en commun. Néanmoins, il ne comptait pas insister non plus. De quoi aurait-il l’air à essayer d’obliger un presque inconnu à monter dans un taxi avec lui ? Ce n’était pas louche du tout, pas du tout. Après un court moment de silence, Giichi reprit la parole, acceptant finalement l’offre de Satoru. Tiens donc ? Et il avait une condition, en plus ? Le chanteur lâcha un petit rire. « Adjugé, vendu ! Je comptais passer de toute façon ! » Rien que par curiosité, pour voir où travaillait Giichi. « Vous me donnez envie de viennoiseries, maintenant ! » Il le prenait au mot. Il passerait et il comptait bien obtenir sa viennoiserie !

Ah, Mochi. C’était sans doute l’un de ses sujets de conversation préférés. Il était fou de son chien, après tout. Et il le gâtait probablement trop aussi. Mais comment résister à une bouille pareille ? Il faudrait vraiment être sans cœur. « Je vois, oui. C’est dommage, mais en effet, si vous estimez ne pas avoir assez de temps, mieux vaut opter pour un animal moins demandant. » D’ailleurs, Satoru culpabilisait lorsqu’il partait trop longtemps et laissait Mochi seul trop longtemps. Même s’il faisait toujours son possible pour ça arrive rarement. Il avait l’avantage de travailler à domicile la plupart du temps, alors ça aidait certainement. Giichi lui confia qu’il avait une tortue et un hérisson. Satoru ne cacha pas sa surprise. Les tortues, ce n’était pas si exceptionnel, mais les hérissons ? Et lorsque le jeune homme lui montra des photos, il ne put s’empêcher de sourire comme un con alors qu’il avait limite les yeux remplis d’étoiles. Oui, il adorait les animaux et oui, il devenait totalement gaga face à des petites bêtes aussi mignonnes que celles de Giichi. « Awwww… ils sont trop mignons ! Mochi les adorerait. Mais je ne pense pas que ce serait une bonne idée de les faire se rencontrer ! » Il voyait déjà son chien essayer de jouer avec le hérisson et se retrouver avec la truffe couverte d’épines. « Comment vous est venue l’idée de les adopter ? » Il sortit son portable à son tour pour montrer une photo de Mochi à Giichi. Il devait en avoir des centaines dans sa galerie. « Voici Mochi ! Il est vraiment adorable, non ? » Satoru était un papa fier, très fier ! Mais avec tout ça, il en avait presque oublié d’appeler le taxi. Chose qu’il s’empressa de faire. Au bout de quelques minutes, il était arrivé et ils purent monter à l’intérieur. Satoru laissa le soin à Giichi de donner l’adresse du café, il descendrait là aussi et ferait le peu de chemin restant à pied.