Une nuit sur un petit nuage

une journée aussi radieuse t'avait mis de bonne humeur. il avait fait beau, et tu avais passé plus de deux heures assis dans le café près de chez toi, un crayon de bois chuchotant contre le papier rêche où tu gribouillais quelques esquisses de chat. la lumière du soleil traversait le verre de la vitrine sans mal pour venir frapper tes yeux de plein fouet, pourtant tu n'avais pas bougé. Tu aimais sentir les rayons dorés contre ta peau, la chaleur de l'été perdu alors qu'il avait neigé à peine quelques semaines auparavant. un sourire avait effleuré tes lèvres à plusieurs reprises alors que le barista venait admirer ton travail par-dessus ton épaules en échangeant quelques mots. tu avais laissé tomber le crayon une ou deux fois pour attraper l'appareil photo entre tes doigts agiles. tu avais prit des photos des plantes, du gérant du café qui rayonnait derrière l'objectif, de ses jolies fossettes lorsqu'il souriait, de la lumière tapant contre le comptoir, des nuages s'agglutinant lentement dans le ciel.

et puis l'heure de partir sembla arriver trop vite. Chiba-san annonce qu'il va fermer dans quelques minutes et disparaît à l'arrière. Juste le temps pour toi de ranger minutieusement tes petites affaires en veillant à ce que personne ne voit le glock dans ton sac. tu es bien incapable de sortir de chez toi sans l'objet en métal rassurant, la certitude que même si quelqu'un vient pour te faire du mal, tu pourras répliquer d'une balle dans la tête. Le traitement qu'ils avaient réservé à Hana huit mois plus tôt. lorsque tu relève la tête, tout le monde se presse déjà vers la sortie, tu es le dernier à te lever lorsque les premières gouttes commencent à tomber suivies de milliers d'autres qui commencent à s'abattre aussi violemment que subitement sur le béton encore chaud. le vent y met du sien, envoyant valser les gouttelettes brillantes contre la vitrine, tu hésiterais presque à rentrer chez toi de ce temps-là. Monsieur Chiba allume la radio qu'il a derrière son comptoir, apparemment un typhon s'abat sur la ville, bof, tu en as vu d'autres. tu es prêt à rentrer chez toi en courant, du moment que tu peux retrouver le cocon habituel, une voix t'arrête. Je pense qu'il serait mieux qu'on attende tous ici de voir si le temps s'améliore. tu réfléchis un instant, prêt à répliquer d'une voix faible mais il baisse déjà les volets roulants. tu referme la bouche, résigné et te rassois à ta table, soudainement nerveux. tu es coincé ici avec une bande d'inconnus qui pourraient mourir à tout instant à cause de toi sans qu'aucun d'entre eux n'ait conscience du danger que tu représente.

pas même une minute après que les volets n'aient claqué sur le sol quelqu'un se met à tambouriner contre le métal mouillé en criant frénétiquement. tu tourne ton regard curieux vers le visage de ton hôte. Il y a quelqu'un dehors... tu lâches de ton éternelle voix douce.

Ce café, synonyme d’exutoire malgré son aversion pour la nourriture, il trouvait son bonheur dans ses tasses de café noir. Dose quotidienne nécessaire pour étudier et s’ancrer dans le crâne toutes les notes qu’il prenait avec attention. Ses nuits, entrecoupées par les cauchemars, restaient mouvementées et toujours très courtes. Jayden, il se sentait bien ici, au milieu de tous ces inconnus. Une ambiance chaleureuse qu’il n’avait jamais connu dans la ville qui hantait ses pensées. New York était son premier amour et on l’en avait chassé. Parce qu’il était malade. Parce que son père n’acceptait pas ce qu’il était. Un gamin mal dans sa peau incapable de s’accrocher à la réalité. Toujours perdu dans un passé douloureux, il n’imaginait pas pouvoir attirer l’attention. Un manque de confiance en lui dévorant qui ne faisait que l’enfoncer bien plus profondément dans ses abysses. Dangereuses.

Rangeant ses affaires sur demande du patron, il avait toujours été obéissant JJ. Les leçons, il les avait apprise à coup de poing et plutôt timide, il n’avait jamais eu assez de courage pour tenir tête à qui que ce soit. Toujours discret, il était prêt à retrouver son petit appartement vide et silencieux. Un silence terrifiant et qui le poussait à réfléchir, à se remettre inlassablement en question. Chaque soir, quand il ne travaillait pas, il restait jusqu’à la fermeture. Avide de compagnie. Son sac jeté sur l’épaule, il se faisait arrêter par la pluie soudaine et l’orage qui le faisait sursauter. Un bruit sec, lui rappelant ceux des portes claquées et des coups de ceintures.  « Vous êtes sûr ? Je ne veux pas déranger…» qu’il disait d’une voix posée, une voix qui donnait l’impression qu’il s’excusait d’exister. Et il en entendait une autre, bien plus paniquée, de l’autre côtés des fenêtres. Nouveau sursaut. Jayden, il se détestait. D’être aussi faible. Vulnérable. Incapable de s’occuper de lui même.  « On devrait sûrement ouvrir ?» Ce n’était pas son commerce, il ne se permettrait pas d’y donner des ordres. Une simple suggestion.

tu avais repris ton crayon entre tes longs doigts pales, prêt à reprendre tes esquisses comme si de rien n'était puisque de toutes façons vous étiez tous coincés ici pour le moment, que techniquement tu ne connaissais personne et que de toutes façons, les relations humaines et toi ça fait deux. tu ne manques pourtant pas de laisser ton regard valser entre ta feuille et le barista qui ouvre le volet pour laisser entrer deux personne dont une fille. ta bouche s'assèche subitement. si toi et les gens c'est déjà pas facile, toi et les filles c'est encore pire, tu as tendance à perdre tous tes moyens devant elles. tu plonges subitement les yeux vers ton crayon qui refuse spontanément de dessiner quoi que ce soit. l'esprit embué de pensées parasites, tu te mets à observer les nouveaux arrivants plutôt que de vraiment dessiner. Ils disparaissent rapidement dans la salle de bain l'un après l'autre et tu finis par laisser ton regard dériver vers les autres derniers clients. c'est un à dire un blond au joli visage qui semble aussi timide que toi si ce n'est plus. il avait un air doux qui le rendait cependant approchable, t'imaginais qu'il devait se faire des amis facilement. le nouvel arrivé revient finalement des toilettes avec un commentaire sur la météo. celui-là avait une aura solaire, le genre capitaine de l'équipe de baseball au lycée ou un truc comme ça, avec un sourire communicatif, il n'avait pas l'air timide pour un sou. ton regard revient se fixer vers le propriétaire du café qui semble toujours aux petits soins pour tout le monde puis reprend ton dessin en lâchant une bombe. il y a aussi quelqu'un à l'arrière.

une révélation qui jette un blanc sur le café, comme un voile silencieux. ton regard fait face à celui de Chiba-san. peut-être que personne n'aurait fait attention à un petit coréen aux traits caractéristiques qui se faufilait à l'arrière alors même que l'effervescence de la fin de journée s'organisait dans la salle. personne sauf toi, l'espion, le tueur à gage, qui aurait pu remarquer le mouvement d'un tiers les yeux fermés. tu n'avais jamais vraiment eu le choix, pour ta famille il était plus important de collectionner les compétences utiles que des bonnes notes à l'école. toi, pendant les vacances scolaires tu t'entrainais à jeter des couteaux sur des cibles en mouvement. et parfois tu avais été testé. tu chasse les pensées sombres de ton esprit. ce n'est pas le moment. tu aurais peut-être mieux fait de ne rien dire finalement. tu serres ta mâchoire et te lève brusquement, manquant de renverser ta chaise au passage. calme toi, t'as l'air d'un fou. tu ouvres la bouche sans savoir quoi dire. il te semble normal que ce soit toi qui aille à l'arrière, au cas où le client bizarre ne soit un danger. mais tu ne peux décemment pas expliquer ça aux autres. je vais... vérifier. ton ton reste calme, malgré la tempête intérieure tu fais toujours face avec la même impassibilité, un visage répété un million de fois dans le miroir parce que ton père n'aimait pas les émotions.

Cette situation ne l’enchantait pas et il se sentait terriblement gêné par la gentillesse du patron. Honnêtement, il aurait préféré traverser la tempête plutôt que de se retrouver coincé au milieu d’inconnus. Une ambiance Cluedo qui n’avait rien de rassurant. En particulier quand on frappait violemment contre les volets fermés. Deux personnes de plus dans le café, et il se reculait instinctivement. Pour observer. Jayden, il n’était pas très doué pour se faire des amis, toujours un peu maladroit et effacé. Contrairement au type trempé qui venait de passer la porte en compagnie d’une jolie fille. Le genre populaire à l’école. Il aimait laisser son esprit vagabonder, imaginer ce qu’était la vie des autres. Bon moyen pour oublier à quel point la sienne était un véritable merdier. Adepte du calme et de la douceur, il avait du mal à encaisser cette prise d’otage improvisée. Mais personne ne l’attendait nulle part. Il n’avait aucune explication à donner, aucun compte à rendre. Une solitude écrasante dont il avait du mal à se débarrasser. Reposant son sac sur le sol il tirait la chaise la plus proche pour s’y assoir avant d’oser demander « Vous pensez que ça va durer longtemps ? » Ce n’était pas qu’il n’appréciait pas leur présence, mais ils étaient tous plus impressionnants les uns que les autres. Et cette odeur sucrée dans l’air lui donnait la nausée.

Il observait silencieusement les nouveaux venus et cet homme bien trop calme un peu plus loin. Et observateur. Le genre d’homme à se tenir droit face à un raz-de-marée. Quelqu’un à l’arrière ? Il se retournait instinctivement pour chercher du regard un intrus. « Vous voulez que je vienne avec vous ? Ou ça va aller ?  » Il n’avait rien d’un gangster Jayden. Il était même tout le contraire lui qui n’avait jamais traversé en dehors des passages piétons. Mais il était courageux. Il ne s’en rendait simplement pas compte, toujours obsédé par une image erronée de ce qu’il était vraiment. Vulnérable peut-être, mais un guerrier. Qui s’était battu pour sa vie, pour se sortir d’une spirale infernale qui avait failli l’envoyer à la morgue. Massant doucement son genou douloureux il attendait une réponse de l’homme en question pour se lever ou non. Peut-être qu’il s’agissait d’un simple animal à la recherche d’un abris ? Ou un fou furieux sortie de l’asile ? Au choix. Légèrement nerveux, il jouait avec le bijou qui trônait au milieu de sa langue, certain qu’il devait arrêter les films d’horreur.