Borderline ft Haru

Cute Jay Ce regard. Il le sentait posé sur lui, depuis de longues semaines. Il avait tenté d’en toucher un mot à une de ses camarade de classe, mais elle lui avait simplement dit qu’il se faisait des idées et que si ce type lui plaisait, il n’avait qu’à aller lui parler au lieu de chercher des excuses. Ce qui l’avait légèrement choqué, il ne pouvait pas le nier. Elle ne pouvait pas comprendre. Jayden, il avait toujours été la cible des moqueries, obsédé par son poids. Les insultes, les railleries, l’histoire d’une vie brisée par le jugement. Son père lui avait ancré dans le crâne à coup de poing que le physique était le plus important. Qu’on se foutrait bien de se gentillesse s’il n’était pas capable de porter son costume Armani avec grâce. Il avait honte de lui. Des mots qui avaient hanté ses nuits, qui le réveillaient encore parfois. Les cauchemars lui retournaient l’estomac et ne faisait qu’intensifier cette haine qu’il ressentait pour son corps. Un corps aujourd’hui dessiné et sans un gramme de trop. Alors pourquoi ? Pourquoi quand il croisait son reflet dans le miroir, il ne voyait qu’un gamin un peu trop gros qui ne méritait ni l’attention, ni l’amour des autres. Il avait inlassablement cherché la reconnaissance de son paternel, mais il ne faisait face qu’à un mur de glace. Une froideur qui lui brisait le coeur.

Alors cet inconnu qui l’observait, qui le jugeait en silence, il faisait mal. Replongé dans les souvenirs qui lui coupaient le souffle, il avait du mal à se concentrer en classe, rappelé à l’ordre plusieurs fois par ses professeurs. Il avait même sauté plusieurs repas. Rattrapé par ses angoisses, il s’était laissé submergé par des émotions toxiques, par tout ce qui l’avait fait plonger dans une anorexie dévorante. Des années de souffrance. Un combat qui lui semblait sans fin. Qui était-il pour le détailler du regard aussi ouvertement ? Sans une once de gêne ? Les mains tremblantes et les poings serrés, il se sentait suffoquer sous son regard. Une prison dans laquelle il s’était enfermé et qui faisait ressortir chacun de ses défauts. Dans ses yeux, il ne voyait que le reflet d’un fantôme dont chaque pas faisait grincer les chaines. Jayden, si doux et timide, il avait senti la colère gronder jusqu’aux tréfonds de son âme. Incontrôlable, il avait trainé sa jambe douloureuse jusqu’à l’impoli dans une assurance qui ne lui ressemblait pas. Il ne connaissait pas son nom. Attrapant son poignet il l’entrainait à sa suite dans un couloir adjacent pour ne pas se donner en spectacle devant les autres élèves.  « C’est quoi ton problème ?!! » qu’il demandait la voix légèrement tremblante.  « Pourquoi tu me regarde comme ça ? Qu’est ce que tu veux ?? » Son coeur cavalait dans sa poitrine alors que son ton se faisait plus ferme.  « C’est parce que je suis gros c’est ça ?! » Oh Jayden. Incapable de faire face à son charme et cette beauté à laquelle il était totalement aveugle.  « T’arrêtes maintenant. Si t’as un truc à me dire fais le en face au moins ! » Comme l’avaient fait tous les gamins qui avaient croisé sa route.

▬  Ces mouvements. Qu’est-ce qui accrochait autant son regard? Était-ce la façon dont ses bras se balançaient d’avant en arrière? La courbe que dessinaient les bouts de ses doigts dans l’air? Peut-être s’agissait-il simplement de l’angle dans lequel son coude se pliait lorsqu’il portait une main vers son visage, ou même celui de son pied juste avant que le talon ne touche le sol. Ou ce léger boitement à la jambe, qui semblait couper court au mouvement de son genou? On claqua des doigts devant ses yeux après une semaine complète d’analyse. Un de ses amis lui affirma qu’il ne pouvait pas continuer à simplement fixer quelqu’un comme ça. Où était donc sa politesse nipponne? Ce n’était pas le genre de chose qu’on faisait ici, pourtant il avait été élevé par des parents - un père surtout - très stricts, lorsqu’il s’agissait de montrer du respect là où il était dût. Pourtant, Haru ne pouvait pas s’en empêcher. Dès que cet étudiant entrait dans son champ de vision, ses yeux suivaient aussitôt chaque déplacement de ses membres, comme s’il s’agissait d’un roulement mécanique ou d’un engrenage bien huilé. Et aujourd’hui ne fit pas exception. Tapant le bout de son crayon sur une feuille, pensif, un début de dessin technique sitôt effacé par son perfectionnisme jamais satisfait, il cherchait quelque chose alors que son regard passait le long du dos, puis suivant l’angle du bras, du cou, la vitesse de rotation de ses épaules. Il cligna des yeux puis se redressa avant de baisser la tête vers sa feuille. Perdu dans ses pensées, il avait remarqué trop tard que ses yeux avaient croisé celui de l’inconnu. Loin d’être du type à être timide pour ce genre de chose, il préférait plutôt épargner celui qui était la victime de ses fixations après s’être fait prendre en flagrant délit.

Il l’entendit s’approcher bien avant de le voir, ceci dit, redressant la tête tout juste comme il arrivait à sa hauteur et attrapait son poignet pour le tirer en retrait. Lui laissant à peine le temps d’attraper au passage la feuille délicate qui se froisse entre ses doigts. Et un nouveau devoir à l’eau. Ce n’était pas le premier, de toute façon, et certainement pas le dernier, mais celui-là il l’avait tout de même bien aimé. Il s’attendait à ce que ses regards soient mal reçus, mais pas à ce point, alors que ce parfait inconnu levait la voix pour lui demander quel était son problème, et Haru eu aussitôt un léger mouvement de recul. Fronçant les sourcils en entendant la suite des accusations, les suppositions, l’inquiétude même, qui était visible. Une fois la fin du monologue de son interlocuteur arrivée, Haru baisse les yeux, fixant les pieds de ce dernier, puis remontant vers son visage, comme s’il jugeait son corps en silence, une pointe d’incrédulité se lisant presque sur son visage habituellement stoic, dégageant son poignet au passage. « C’est quoi TON problème? » répliqua-t-il avec mauvaise humeur, frottant son poignet plus par réflexe que parce que l’autre ne lui avait fait réellement mal. Il plaqua la feuille froissée contre le torse de son vis-à-vis, peut-être avec un peu plus de force que nécessaire au vu de sa mauvaise humeur. « Je faisais un devoir, je n’ai pas de temps à perdre à juger les gens. Même si c’était le cas, j’en ai rien à faire de la quantité de gras qui se retrouverait sur ton corps. »  Ajouta-t-il d'un ton sec.

Jayden, il avait de la patience, beaucoup de patience, mais il avait atteint ses limites. Ce regard lourd et insistant ravivait de vieilles cicatrices et il n’était pas loin de sombrer à nouveau dans ses abysses dont il connaissait pourtant la profondeur. Il ne les comptait plus, tous ses cris de détresse qu’il refoulait. Cet inconnu, il allait foutre en l’air tous ses efforts, des années à combattre un mal invisible. Il n’avait pas d’explication. Quand on lui disait qu’il était beau, élégant, charmant, il n’arrivait pas à y croire, cette haine de lui même bien trop ancrée dans ses gènes. On lui avait même dit qu’il était fou de ne pas le voir. Oui, il l’était sûrement. Il fallait l’être pour s’affamer au point de frôler la mort. Et ça n’avait même pas suffit à lui faire prendre conscience que la nourriture était vitale pour son bien être. Cet étudiant qui l’observait n’avait aucune idée du tsunami qu’il était en train de provoquer dans son esprit. Submergé par la colère et la frustration il avait trouvé le courage de l’aborder et pas de la meilleure des manières. Les doigts pressés sans trop de force sur son poignet, il avait du mal à soutenir son regard alors qu’il lui balançait au visage ce qu’il pensait de son attitude. Loin d’être mature à cet instant précis, le blond s’était laissé emporter par la rage et il se rendait compte de sa bêtise quand le bras de l’inconnu lui échappait. Il s’apprêtait à s’excuser pour son comportement, de l’avoir touché sans en demander l’autorisation, mais il se faisait couper avant même de commencer.

Ok, il n’avait pas prévu une réaction aussi virulente de la part de son vis à vis. Mais qu’est ce qu’il attendait Jayden hein ? Faisant un pas en arrière en réceptionnant la feuille contre son torse, il grimaçait légèrement sous cette soudaine brutalité.  « Un devoir ? Qui te pousse à me fixer ?? » Observant enfin le dessin sur le papier froissé, il prenait doucement conscience que ce pauvre garçon n’avait aucune intention de le harceler.  « Tu aurais pu me demander au moins ? Ou me prévenir ! Ça ne se fait pas de regarder les gens comme ça ! » qu’il disait en lui rendant son oeuvre de la même manière qu’il lui avait donné, la plaquant sur sa poitrine avec une force toute légère.  « Et parle pas de mon gras… » Un murmure mal à l’aise, alors qu’il ne savait plus comment agir. Ce type l’avait pris pour modèle pour un projet ? Lui ? Le gamin amoché sans aucun intérêt ? Si c’était une blague ça ne le faisait vraiment pas rire. Personne ne savait l’importance qu’il pouvait accorder à son physique. Difficile à deviner quand il se dissimulait sous des vêtements trop larges.  « Tu étudies quoi ? Et pardon mais… pourquoi moi ? Enfin… c’est bizarre. » Il n’avait pourtant pas l’air d’un dangereux pervers. Il dégageait un certain charisme, une assurance toute particulière. Tout ce que lui n’avait pas et qui le captivait.

▬ L’empathie était pratiquement inexistante chez Haru. Il n’avait jamais su être très ouvert aux problèmes des autres, les écoutants souvent de manière distraite, hasardant un ou deux conseils incertains et d’essayer de simplement être tout ouïe avant que son cerveau ne se concentre sur quelque chose de totalement différent. Peut-être une des raisons majeures pourquoi il n’avait pas beaucoup d’amis proches; il avait tendance à trouver les problèmes des autres parfois ennuyeux, voire même si simple à régler qu’ils n’étaient pas de vrais problèmes. Après tout, tout le monde avait ses propres problèmes. Lui-même en avait, et il ne les étalait pas au grand jour, juste pour se sentir soulagé d’avoir une oreille attentive pour l’écouter et essuyer ses larmes. Une façon très solitaire de voir les choses, pour un garçon qui n’avait jamais été très extraverti en général et dont les parents avaient peu faire de ses problèmes sentimentaux d'adolescent ou de ses contrôles ratés à l'école. Une sorte de réflexe du survivant. Une recherche inconsciente de rester loin des autres, par crainte de tellement de choses. Il lui était donc presque impossible de voir le tort qu’il causait. Certains pourraient le considérer diabolique, s’ils savaient. Et pourtant, c’était dans l’ignorance que Haru continuait à suivre ce genre de réflexe, fixant toujours son interlocuteur, les bras croisé et le regard brûlant, insulté de se faire aborder de la sorte, jugeant le coup d'oeil que son interlocuteur posait sur son devoir, le défiant presque de faire un commentaire sur ses capacités en dessins et en traçage de lignes droites.

Sa main se posa sur son torse lorsque la feuille lui revint, son expression de colère se dissipant de son visage pour laisser à nouveau place à celle impassible qu’il avait normalement.  « C’est que des coups d’oeil d’analyse, tu voulais que je viens te voir tout gentiment et que je te dise "Hé excuse-moi, je vais te fixer pendant quelques temps, mais promis je suis pas dérangé mentalement"? » Il pencha la tête de côté, haussant les sourcils, tentant de faire comprendre l’idiotie de cette vision à ce garçon dont la colère semblait fondre un peu alors qu’il réalisait que Haru n’était pas là pour faire de lui un clown. Il referma les doigts sur la feuille, la chiffonnant entre ses mains, puis fourra le dessin dans sa poche sans plus de délicatesse, son regard passant de nouveau sur le corps du garçon, visiblement sans gêne et sans tenter de cacher ce nouveau compte rendu de son apparence.  « Ouais, c’est pas comme s’il y avait de quoi en parler, je doutes que tu ais une once de gras sur ta personne. Et puis c’est pas comme si ça changeait quelque chose. » commenta-t-il avec un haussement d’épaule, sans vraiment réfléchir à la portée de ses mots ou de l’impact qu’ils pourraient possiblement avoir sur les pensées déjà orageuses de l’autre étudiant.  « J’étudies la robotique. Tu as des mouvements intéressant, monsieur je-m’insulte-au-moindre-coup-d’oeil. Satisfait de la réponse? »

Est-ce qu’il avait l’air d’un con maintenant ? Clairement. Il n’avait pas pour habitude de se défendre ou même de hausser le ton. Encore moins sur des inconnus. Il avait pourtant l’impression que son inquiétude était légitime, que ce n’était pas correct de se faire dévisager. Il aurait simplement pu lui en parler gentiment, mais ce pauvre garçon se recevait toute la frustration qu’il avait accumulé depuis le début de la semaine. Un stress permanent qui lui rongeait l’estomac. Si tout se passait bien, il allait enfin quitter le fast-food pour garder un enfant. Ce qui était sûrement plus épuisant pour la plupart des gens. Mais Jayden, il aimait les gosses, bien plus que les frites et les burgers. Il comptait vraiment sur ce nouveau boulot pour s’accrocher un peu plus fort à cette chienne de vie. Parfois, il se demandait pourquoi il tenait autant à survivre, parce que dans le fond il n’avait plus rien à perdre. Sa jambe l’empêchait de danser, son père refusait de le regarder dans les yeux, ses derniers mots raisonnant sans cesse dans son esprit. Il n’était qu’une pute dégénérée. Difficile à encaisser. Il avait plusieurs fois pensé à se laisser crever de fin, mais à chaque fois, la rage de vivre le rattrapait et il se retrouvait à se défouler sur un autre étudiant. Il n’était pas très grand, mais il semblait assuré. Jay, il n’aimait pas trop ce dédain dans sa voix.  « Tu aurais pu venir me voir, en te présentant déjà ! C’est la moindre des choses ! » disait celui qui l’avait agressé sans même lui donner son nom.  « Et je sais pas, expliquer que tu bossais sur un projet et savoir si j’étais d’accord pour servir de … de quoi ? De modèle ? J’en sais rien moi. Mais pas me fixer comme si tu voulais me tuer ! » Il en avait assez de se faire écraser Jayden, et ce type réveillait en lui une lueur qu’il croyait étouffée depuis bien longtemps.

Il se rendait compte que sa colère n’était pas fondée et il ne lui en fallait pas plus pour légèrement l’apaiser. Le blond, il restait figé alors qu’il sentait à nouveau son regard posé sur lui. Un regard qui le perturbait, qui lui donnait l’impression qu’il était capable de sonder son âme et c’était par réflexe qu’il croisait ses bras sur son torse, pour tenter de se dissimuler.  « Oui bah assez parler de mon corps… » Encore un qui ne le voyait pas réellement. Mais cette sincérité avec laquelle il lui avait balancé ces mots, elle faisait peur. Parce que ce n’était ni pour le rassurer ni pour lui faire plaisir. Juste la réalité. La sienne.  « Un coup d’oeil ? Un coup d’oeil c’est quand t’essaye de voir le mec que ta copine trouve canon mais que tu dois pas te faire remarquer. Là c’est flippant monsieur-je-fixe-les-gens-sans-aucune-gêne. Et je j’ai un prénom. C’est Jayden.» Encore son côté immature qui remontait à la surface. La robotique ? Il n’y connaissait rien. Lui ce qu’il aimait c’était les lois, les jurisprudences, et tout ce qui se trouvait dans les bouquins de droit.  « Tu veux me transformer en robot ?» Il n’était pas bête, mais il n’avait pas la science infuse J.J et cette histoire l’intriguait bien plus qu’il ne l’aurait imaginé.  « C’est les trucs un peu comme Iron Man ? » Oh seigneur. Tais toi.

▬ Comme si tu voulais me tuer. À ces mots, quelque chose d’infiniment subtile changea dans la façon dont se tenait Haru. Il serre un tout petit peu plus les dents. Les coins de ses lèvres tressaillirent d’un demi-millimètre. Avait-il vraiment cet air lorsqu’il fixait le gens? Il voyait mentalement le regard de son père lorsque ce dernier était de mauvaise humeur. Ce regard noir, presque terrifiant. Ce regard qui le faisait taire aussitôt, même s’il était en plein milieu d’une phrase. Le regard d’un homme qui savait qu’il intimidait, qui savait le contrôle qu’il avait sur certains. Un regard de tueur. En avait-il hérité? Il se plaisait à croire qu’il avait les yeux de sa mère, mais peut-être se trompait-il. Ce sont ces mots qui avait semblés adoucir légèrement son expression. Bien qu’il reste aussi impassible qu’à l’habitude, il affichait déjà une attitude plus ouverte, cherchant presque à mettre fin à la confrontation inutile qu’il y avait entre eux en ce moment. Ces gestes subtiles, presque indéchiffrable, qu’il n’oserait jamais formulé à voix haute. Il ne partageait pas ses sentiments, sauf si ces derniers n’étaient pas ceux rageurs et violents d’un homme puissant. Alors il étouffait tout; tristesse, ennui, joie, douceur. Réservant ce genre de chose pour une vie plus secrète, à l’abri des regards qui pouvaient le juger au grand jour, offrant plutôt ses sourires et ses éclats de rire à la nuit qui lui avait permit de s’épanouir en toute quiétude. Il le remarque croiser les bras, puis détourne les yeux du corps de l’autre pour plutôt planter son regard dans le sien, sans faire de commentaire. Si déconnecté des sentiments des autres humains qu’il ne pensait pas du tout que son commentaire pouvait être gênant.

Haru eut presque aussitôt un nouveau froncement de sourcil, les yeux fixant le vide un moment, lorsque l’autre continua de parler, trouvant la comparaison qu’il lui offrit presque comique et lança son cerveau dans un supposition plus qu’inutile en ce moment. Après tout, si l’hypothétique copine en question trouvait “un mec canon” pourquoi s’empêcher de regarder au moins une fois? À quoi bon faire subtil, alors qu’on pouvait attirer son attention? C'était inutile de jouer la carte de la subtilité, ça ne mènerai jamais à rien et puis- « Attends, quoi, Iron Man? » Il ramène son attention sur le prénommé Jayden avec l’impression de soudainement revenir de très loin, clignant des yeux. Ah oui. La conversation. Reprenons. « Jayden. Américain? » Il n’attendit pas que l’autre réponde avant de continuer. « Non, non, seulement tes mouvements sont intéressants, ça pourrait être pas mal à reproduire. Et malheureusement, non, j’ai tout à envier à Tony Stark, merci bien, ce mec est un génie. Programmation d’IA, ingénierie, ce genre de truc. » Ajoute-t-il en haussant légèrement les épaules, puis répondant simplement aux présentations faites un peu soudainement « Miyuki Haru. »  

Il n’aimait pas trop servir de cobaye Jayden, on l’avait assez utilisé, et il n’avait toujours été qu’un objet aux yeux de son père, un tremplin pour son ascension et sa carrière si précieuse de politicien. Il se demandait bien ce que lui trouvait cet étudiant pour l’avoir choisi comme modèle. Parce que sa jambe boitillante, elle ne lui donnait aucune grâce et aucun charme. Il avait toujours eu honte de sa démarche un peu bancale même si la rééducation l’avait drôlement aidé. Il était curieux de voir à travers le regard de cet inconnu. Il semblait pragmatique et sans jugement, ce qui lui semblait être impossible. Il préférait garder ses bras croisés sur sa poitrine, le temps de découvrir ses véritables intentions. Mais tout comme lui, il semblait s’être radouci à la mention du super héros. La robotique, ce n’était pas son domaine, mais les films et les séries ? Bien plus interessant. Adepte des soirées Netflix, il imaginait son vis à vis comme un génie, un laboratoire dans le garage. Un peu cliché, mais ça lui plaisait plutôt bien.  « Toi. Tu fais un peu les mêmes trucs qu’Iron Man ? »Tony Stark avait un certain charme, mais Jay, il avait surtout un faible pour Captain America. Sûrement les muscles.

 « Euh oui je suis… » américain. Mais il n’avait pas le temps de terminer sa phrase. Personne ne lui avait appris à ne pas couper la parole à cet effronté ? Pourtant, il ne disait rien, essayant de comprendre la moitié de ses mots. Dans ces moments là, il se sentait un peu stupide, alors il se contentait d’un   « Ah oui… oui… programmation d’IA tout ça tout ça… » C’était quoi IA ?? Une question qu’il n’osait pas poser de peur de faire face à une moquerie.   « Hein ? » Un peu perdu dans cette conversation qui n’avait plus aucun sens, il lui fallait de longues secondes pour comprendre qu’il s’agissait de son nom.   « Enchanté. » Haru, c’était vraiment joli. Une douceur qui contrastait avec son regard dur. Une belle mélodie à l’oreille qui le poussait enfin à faire des excuses.   « Je voulais pas t’agresser, désolé. J’aime juste pas trop qu’on me regarde comme ça… » Est-ce qu’il allait continuer encore longtemps ? A le fixer ? A se servir de son corps pour son devoir ? Un peu plus nerveux, il mordillait sa lèvre, alors qu’il tirait sur la manche de son pull.   « Je pourrais voir le résultat ? » Par curiosité, et peut-être aussi pour se persuader qu’il n’était pas si mal que ça Jayden. Peut-être que cet étudiant était capable de voir au delà de son physique, quelque chose que lui était incapable de percevoir. Trop enfermé dans son passé, dans cette cage où il était prêt à se faire massacrer par des souvenirs douloureux. Personne ne pouvait comprendre cette maladie à laquelle il devait faire face, à quel point il essayait de se battre pour ne pas céder aux petites voies dans sa tête. Il avait envie de vivre Jayden.  « Vous avez un laboratoire ici ? » qu’il demandait, le regard brillant. Lui passait sa vie à la bibliothèque.

▬ Les films n’avaient jamais été sa tasse de thé. Son cerveau ne restait jamais assez concentré pour apprécier plus d’une quinzaine de minutes de ces aventures qui passaient parfois à la télé. Et puis, il était assez occupé comme ça pour ne pas avoir beaucoup de temps pour s’arrêter à ce genre de chose. Il passait très peu de temps devant la télévision et les écrans, n’utilisant son portable que pour l’occasionnel sms et les quelques photos sur les réseaux sociaux. Mais des films aussi connus ne pouvaient pas passer inaperçu, même pour lui. Et il devait bien avouer quand lorsqu’il était un peu plus jeune, Haru avait bien admiré le personnage de fiction qu’était Iron Man, le philantropiste de génie. Oui, bon, il ne l'avouera jamais à voix haute, mais il avait déjà pensé faire sa propre armure, bien que ses idées n’aient jamais eu la chance d’être posées sur papier. Ça c’était sans côté son rêve de créer un vrai Gundam, grandeur nature et capable de bouger - oui, encore mieux que celui qui était récemment à Odaiba. Mais il avait vieilli et avait laissé ces rêves un peu enfantin dans un coin de sa tête, sans jamais les partager avec qui que ce soit. « Non, pas exactement, je fais pas d’armure. » Mais ce serait cool, avait-il eu envie de rajouter.

Il hocha brièvement la tête lorsque Jayden confirma ses origines, ce qui ne l’avait pourtant pas empêcher de continuer de parler pour autant, sans vraiment porter attention au fait qu’il l’avait empêché de terminer sa phrase. La tête en l’air, que voulez-vous. Le silence s’étira un peu après que l’étudiant en robotique ait mentionné son nom; il ne semblait pas comprendre ce que l’autre ne comprenait pas, justement, attendant une réaction de sa part qui mit son temps à venir. Nouveau hochement de tête au Enchanté, signifiant qu’il l’était tout autant. Puis, ce fût les excuses, qui arrachèrent une subtile grimace à Haru avant qu’il ne les repousse d’un vague mouvement de la main. On ne lui avait jamais vraiment montré à donner ou accepter des excuses et il ne savait pas comment réagir lorsque la situation se présentait, préférant les chasser rapidement et passer à autre chose avec un étrange malaise.  « Ça va, c’est moi qui ne devrais pas te fixer comme ça. » À la question suivante, il sembla pensif, penchant légèrement la tête de côté alors qu’il réfléchissait avant de sortir la feuille froissée couverte de gribouillis et de notes sur des angles, des mouvements, bref presque une analyse complète de la façon de bouger de Jayden, de sa poche. Baissant les yeux et se penchant vers l’avant, il tenta de l’aplatir à nouveau, contre sa cuisse, avant de lui tendre. « C’était pour demain, je pourrais pas le rendre. Garde-le si tu le souhaites. » dit-il simplement, l’air pas le moins dérangé du monde de perdre des pourcentage pour ce devoir qui n’allait pas être remis. De toute façon, dès que la feuille avait eu quelques plis entre ses doigts, il avait pris la décision qu’il ne recommencerait pas, profitant de ce temps libre pour sortir dans la soirée. Haru ramena ses yeux vers ceux de son interlocuteur, hochant la tête ensuite. « Oui. C’est plus un atelier, mais bon. Tu étudies quoi? » Assez parler de lui; Jayden avait probablement des choses à raconter aussi. Et puis laisser la chance aux autres de s’exprimer, ça détendrait l’atmosphère, n’est-ce pas?
  

Pas d’armure, c’était dommage, mais ça devait être bien plus compliqué que ce que le film laissait paraître. La robotique, c’était assez vague et il laissait dans un petit coin de son esprit l’idée d’emprunter un ou deux livres à la bibliothèque sur le sujet. C’était qu’il avait le temps de bouquiner, lui qui refusait toutes les sorties que ses amies lui proposaient. Il n’avait jamais mis les pieds en boite de nuit et il n’en n’avait aucune envie. La musique trop forte, l’alcool, et se faire toucher ou frôler par des inconnus le terrifiait. Jayden, il avait fini par s’excuser, prenant conscience qu’il avait sûrement un peu trop dramatisé. La situation n’était pas si grave et il n’avait pas envie d’expliquer son attitude. Son regard avait réveillé les fantômes du passé et il avait succombé à tout ce stress qui lui tordait les tripes. Haru, il ne semblait pas lui en vouloir, ce qui le consolait légèrement. Il avait dû le prendre pour un fou, peut-être l’était-il ? Il fallait être dérangé pour être attiré par des hommes. Ses yeux suivaient chacun de ses gestes et il restait surpris face à la feuille tendue. C’était ça son devoir final ? Ce papier qu’il avait chiffonné sans même réfléchir ?  « Mais… Mais non ! Tu peux pas me le donner si tu dois le rendre demain ! Je veux dire, si on l’aplatit bien on peut le rendre présentable. »  Il allait avoir une mauvaise note par sa faute, et le new yorkais se laissait envahir pr la culpabilité. Il n’imaginait pas que faire ses dessins avaient pu lui prendre des heures.  « Ou tu veux pas le refaire ? Je peux t’aider si tu veux ? Enfin, j’y connais rien, mais si tu me dis quoi faire… »  Il se sentait nul. Beaucoup trop nul. Et l’étudiant ne semblait même pas affecté.

Il continuait cette conversation comme si lui donner son devoir était banal.  « Moi j’étudie le droit… le droit des affaires. »  Pour faire plaisir à son père, mais en parallèle pour sa curiosité personnelle, il s’était lancé le défi de tout apprendre sur le pénal.  « Je suis vraiment désolé, si j’avais su j’aurais fait plus attention… »  Et voilà. La seule fois où il avait eu le courage d’aborder un garçon pour essayer de se défendre, il avait réussi à faire une bêtise. Sa colère avait laissé place à une certaine douceur. Mal à l’aise, il plaquait le piercing qui trônait sur sa langue contre son palais. Si quelqu’un avait détruit un de ses projets sur lequel il avait longuement travaillé, il aurait sûrement pleuré. Parce qu’il était sensible Jayden, contrairement à son vis à vis. Il était difficile à déchiffrer et son air totalement neutre éveillait toujours plus sa curiosité. Il ne savait pas comment se faire pardonner, mais il finirait par trouver.  « Si t’as besoin d’un truc un jour… Tu… T’auras qu’à me demander. »  C’était la moindre des choses. Maltraitant les manches trop longues de son pull, il restait appuyé sur sa jambe valide pour soulager son genou gauche, douloureux dès qu’il restait debout un peu trop longtemps. Il était cassé J.J. Est-ce qu’Haru était capable de le réparer ?

▬ La réaction plutôt vive de Jayden le surpris grandement. Haru n’avait jamais donné beaucoup d’importance à des devoirs. De toute façon, dur de voir ses études comme étant quelque chose d’essentiel alors qu’on lui répétait sans cesse qu’il ne devait s’agir que d’un hobby. De quelque chose qu’il allait éventuellement devoir abandonné. Cette passion dévorante qu’il ne pourrait jamais continuer une fois qu’on le pourrait le considérer assez vieux et utile pour l’affaire familiale. Il se forçait donc toujours à prendre un certain recul vis-à-vis de ses cours et ses devoirs étaient généralement la première chose qu’il laissait tomber. Ils prenaient beaucoup de temps et beaucoup d’attention, des choses qu’il pouvait plutôt mettre à profit pour d’autres activités. C’est surement ce manque de rigueur face à ses travaux qui le rend si surpris de voir l’autre lui offrit de l’aide et s’opposer ouvertement à ce qu’il lui laisse le devoir. N’étaient-ils pas encore des inconnus? Bien sur, ils s’étaient présenté, mais c’est tout, il ne connaissait rien de ce Jayden. Pourquoi souhaitait-il tant l’aider? «  Ce n’est qu’un devoir, inutile de t’en faire. Je suis bien plus satisfait de te l’offrir. Et puis il était loin d’être du niveau nécessaire. Si tu veux m’aider, ne me cri pas dessus la prochaine fois que je te regarde, ce sera déjà pas mal. » faisait-il vraiment des plaisanteries, maintenant? Haru redressa les épaules, comme dans une tentative de se rendre plus sérieux et de faire passer la plaisanterie comme si de rien n’était.

À nouveau, il hoche doucement la tête, l’air pensif, bien qu’un éclat légèrement impressionné passe dans ses yeux sombres. Il s’agissait un peu de sa façon d’absorber les informations qu’on lui partageait, lorsque Jayden lui mentionne son domaine d’étude. Il faut dire que le droit des affaires, ce n’était pas non plus un domaine simple à étudier. Il y avait beaucoup de chose à mémoriser, de détails, de subtilités. «  Oh, intéressant. Tu aimes? » demande-t-il, presque sur le ton de la conversation, soudainement. Son air reste impossible à lire, toujours aussi stoïque, mais son ton est bien plus amical. Même quelque chose de subtil dans sa façon de se tenir était bien plus décontractée. À nouveau, il chasse les excuses. Mais à l’offre de l’aider, l’air de Haru change, affichant plutôt une mine intéressée. Le coin de ses lèvres se redresse même légèrement en un fin sourire, tout juste discernable. «  C’est pas important, t’en fait pas pour ça, j’ai une bonne moyenne. Ceci dit… Si tu me laisse continuer d’analyser tes mouvements sans trop rechigner… Ils sont fascinants. » Un peu plus et on pouvait voir les étoiles briller dans le fond de ses pupilles - oui, bon, il faudrait bien regarder pour pouvoir les apercevoir, mais quand même. Elles étaient là, brillant doucement à l’idée de pouvoir encore mieux prendre en note la façon dont se déplaçait son interlocuteur. Haru avait l’oeil pour les mouvements. Par contre, il ne l’avait pas pour le malaise, ne remarquant même pas le réflexe de l’autre de s’appuyer pour donner un peu de répis à sa jambe.